Très chers lecteurs et lectrices, en continuant à me lire, vous m’apprenez à écrire. Pour moi, cette blancheur de la page est comme un ciel rempli de miracles. Toute ma jeune vie, j’avais tant souhaité noircir des lignes et, aujourd’hui, ma tendre vieillesse m’encourage à le faire. Un sourire, un p’tit bec à la sauvette, un œil compatissant; j’écris, ces temps-ci, pour apprendre en quoi consiste le véritable amour.
Aurai-je moi-même assez de temps pour trouver une réelle âme sœur? Combien d’hommes ou de femmes ont l’occasion de vivre un grand amour? Une fois ou deux, peut-être trois durant leur vie, s’ils sont chanceux?
Même si ses deux premiers candidats n’ont pas fait l’affaire, dame Natasha, l’experte de l’agence de rencontres que j’ai mandatée pour m’aider à trouver le bon homme pour moi, m’informe qu’elle n’arrête pas de chercher. Sait-elle à quel point le temps file vite? Mes dernières belles années passent et s’effritent.
AU SECOURS! RESTERAI-JE VIEILLE FILLE JUSQU’À CENT ANS?
— « Très chère Claudia, me lance-t-elle, n’oubliez pas votre nom d’emprunt! ». Un troisième candidat a très hâte de me rencontrer.
Après la conversation téléphonique d’une trentaine de minutes nous servant de préambule, je m’imagine au septième ciel. Je n’ai mal nulle part, mais ce soupirant dirige, sur la Rive-Sud du Grand Montréal, une usine de petits appareillages vendus dans toutes les pharmacies canadiennes : bas de contention, ceintures lombaires, bandages, grenouillères, chevillères, semelles orthopédiques ou amovibles, bandages élastiques et corsets de tout acabit. Devrais-je me casser la patte pour le rencontrer plus rapidement?
— « Dame Natasha, quand pourrais-je faire sa connaissance? »
— « Soyez patiente! Votre prétendant se trouve présentement en voyage d’affaires à Chicago. »
Je comprends. Cet homme mène probablement la même vie que moi du temps où j’ouvrais des restos un peu partout au Canada. Même si j’avais rencontré mon bel Omar Sharif en personne, je n’aurais pas eu le temps de lui piquer une jasette!
Impatiente et un tantinet contrariée, j’ai l’impression de n’écrire que des commencements d’histoires qui avortent aussi vite que des bulles de savon dans ma caboche. Grand midi, je casse trois petits œufs dans une poêle brûlante. Avec un quignon de pain, un triangle de fromage et deux tranches de jambon Première Moisson, je m’installe pour manger devant mon iPad. Ai-je vraiment faim? Je repense à cet homme d’affaires. Aimera-t-il mes confitures maison? Mon style coloré, mes mots sortant de l’ordinaire?
Quelques jours plus tard, dame Natasha m’apprend que le voyageur est de retour à Montréal et qu’il désire déjeuner avec moi ce samedi qui vient. Il pourrait réserver chez Leméac.
— « Qu’en pensez-vous, chère Claudia? », me questionne-t-elle.
— « C’est parfait! Je connais l’endroit et j’y serai à 10 h. »
Très tôt le samedi matin, le tralala des essayages de ma grande garde-robe me donne le tournis. J’essaie une robe rouge un peu trop voyante, une rose trop pâle pour l’automne, une bleue un peu trop courte et, finalement, j’opte pour un pantalon gris pâle et un chandail assorti.
L’homme arrive, tiré à quatre épingles et sérieux comme un pape. Il a réservé une table pour quatre en plein centre du restaurant.
— « Enchantée de faire votre connaissance, cher monsieur. Attendez-vous quelqu’un d’autre? »
— « J’aime être à mon aise dans ces foutus restos trop achalandés et trop tassés. Je préfère les grandes tables avec plus d’espace. »
— « Auriez-vous préféré aller au Ritz? »
— « C’est du pareil au même. Trop ordinaire et trop cher! Sauf qu’ici, c’est l’excellent saumon fumé maison qui attire la clientèle. »
— « Je suis d’accord! C’est aussi mon plat préféré. »
Nous devrions bien nous entendre! Mais je déchante rapidement lorsqu’il a presque rudoyé un apprenti serveur qui lui a proposé du rouge au lieu du blanc pour accompagner le poisson. Vitement rassasié, l’homme ne m’a pas même offert un dessert. Ni lui ni moi n’avons terminé notre vin et j’ai conclu que j’avais encore perdu mon temps. En sortant du restaurant, l’homme m’invite à marcher quelques pas pour digérer. Étonnée de sa demande, j’y consens tout de même. À peine quinze minutes de marche apaisent le bougon. Il me lance quelques compliments à la sauvette et m’invite chez lui, dans sa grosse propriété sur le bord du fleuve à la hauteur de Verchères. Misère! Je suis découragée!
— « Les employés, avance-t-il, sont en congé le week-end et Madame pourra même rester pour la nuit si elle le désire.
— « Non, non! Non, merci! ». Je suis stupéfaite.
Encore quelques pas et l’homme s’arrête. Un chauffeur à casquette blanche ouvre la porte arrière d’une bagnole de luxe que je ne connais pas.
— « Chérie, allons faire un p’tit tour avec ma nouvelle Bentley », me dit-il en m’encourageant à prendre place sur le siège arrière de sa grosse bagnole. Mais je refuse net. « Non, non! » Je reste un moment sur le trottoir en cherchant ma Mini des yeux. Lorsque je la vois, un coin de rue plus loin que la grosse Bentley, je décampe. Je cours presque. Je déverrouille ma Mini, j’ouvre la porte, je m’engouffre dans l’auto et m’y embarre sur le champ.
À SUIVRE POUR LA CONCLUSION.
Cora
❤️