Une parade de prétendants
Pour Noël, à vous tous qui me lisez, je veux vous manifester mon incommensurable gratitude. Savez-vous que vous m’avez sauvée des eaux boueuses de l’ennui, de la morosité et des papillons noirs, porteurs de mauvais augure? Oui, oui! Vous m’avez gardée saine d’esprit et je vous dois ma nouvelle carrière de barbouilleuse de papier blanc.
Le titre de notre première LETTRE publiée le 1er avril 2020 s’intitulait « ÇA VA BIEN ALLER ». On aurait pu penser que ce titre parlait d’une faiblarde consolation à ce qui nous menaçait; ou peut-être, de l’histoire d’un réel poisson d’avril pour stimuler nos éclats de rire. Ce n’était ni l’un ni l’autre et nous avons visé en plein dans le mille en continuant d’écrire.
Ces LETTRES devaient être temporaires et c’est votre pur amour, chers lecteurs, qui nous a incité à les garder. D’une semaine à l’autre, une nouvelle missive sort de ma tête et entre dans vos cœurs. Vous êtes cet accueillant réceptacle, ce miracle. Tous ces cœurs aimant mes mots et vos milliers de délicieux commentaires me le prouvent chaque semaine, et je jubile.
Depuis le début des lettres du dimanche, vous tous m’avez donné une nouvelle existence, une passion chère à mon cœur et une extraordinaire façon de vouloir allonger ma vie. C’est à vous, très chers lecteurs que je dois tous ces bienfaits. Je lis chacune des lignes que vous m’envoyez. Certes je ne peux pas répondre à tout le monde, mais j’adore toujours vous rencontrer un peu partout dans mes déplacements : dans les allées d’un Jean Coutu, Metro, Provigo, Winners, Walmart ou Marshalls. Je jase, je jase comme si j’étais un affectueux perroquet cacatoès à poitrine rose et aux petites ailes gris pâle.
Croyez-le ou non, je suis encore célibataire! Dans ma tête personne n’est décédé, mais, comme dirait le célèbre Alphonse de Lamartine dans ses Méditations poétiques de 1820 : « UN SEUL ÊTRE ME MANQUE ET TOUT ME SEMBLE DÉPEUPLÉ. » Passerais-je ma vie à attendre un inconnu? Quelquefois, je me dis que ce fantôme est ma muse, mon inspiration, et j’endimanche ce vide de très espiègles façons.
LUNDI ressemble à Éole, le dieu des vents. Il préfère la nature à la ville et, comme moi, il aime caresser les fragiles bouleaux blancs. Nous apprenons à nous connaître lui et moi. Ensemble, nous atteignons le sommet de l’Everest. LUNDI en profite pour ébouriffer quelques nuages et s’allonger sur de minuscules buissons. Pendant que mes doigts caressent sa poitrine argentée, je lui murmure quelques quatrains et il s’endort. Je l’entends rêver. Il chicane une brune et complimente une blonde. LUNDI souffle un peu trop fort dans ma chevelure et mon corps dégringole.
La rosée du matin s’appelle MARDI. Frais et bruyant, l’homme me raconte ses fredaines nocturnes. Vite, vite, avant que l’astre jaune ne se lève, MARDI remplit son cœur de fines gouttelettes. Il agrippe ma main, il se vante, il exagère. Déjà, il craint de disparaître. Son visage craquelé d’un vert clair fatigué fixe les vers de terre grouillant sous les buissons. Un hennissement d’étalon agresse les abeilles. La netteté du jour éloigne ma véhémence.
MERCREDI est un acteur vieillissant qui oublie ses lignes. Beau comme un Bradley Cooper à tête blanche, il confond ses repères. L’homme avale quelques tranches de poulet pour déjeuner, remplit son ventre de gruau vers midi et éparpille les miettes d’un croissant en s’endormant. Il rêve, me dit-il, d’une dernière croisière. L’Alaska attise mes ardeurs, les glaciers tout blancs. Le cœur de MERCREDI, quasi impotent. Sur le quai, mes orteils gelés m’empêchent d’avancer.
JEUDI m’apporte des fleurs en pâte à biscuits : des roses, des jaunes, des bleues, quelques corolles bariolées. Lui-même, me dit-il, les a faites en écoutant le requiem de Mozart. Je croque une rose et ça goûte la rose. Je croque le bleu et ça goûte ses yeux. JEUDI a des airs de musicien d’église où je voudrais m’agenouiller. Je touche ses mains qui savent façonner la pâte, nourrir les fleurs et certainement amadouer mon cœur. J’ose espérer qu’il prenne aussi soin de mon âme!
VENDREDI est le cinquième larron de la semaine. Son nom, issu du latin, signifie le jour de Vénus. J’apprends donc rapidement que pour cet homme, chaque femme mérite une célébration. Qu’elle soit Simonetta Vespucci, la Joconde, la Vénus de Milo aux bras coupés, ou ma voisine de table au café, le fait est qu’il les aime toutes. Je me souviens en particulier d’un soir où nous sommes allés au Théâtre Gilles Vigneault du canton. L’homme s’était mis sur son trente-six pour zieuter chaque madone. J’étais la plus belle, mais ses yeux usés l’ignoraient.
Un beau SAMEDI dépose un poème sur ma table d’écriture et mon cœur coule au fond de l’océan. Je nage, je nage et j’ai peur d’affronter ce poète au magnifique visage. Lorsqu’enfin il s’approche, je constate que ses iris bleu vif ont la couleur des écailles d’un requin. Pour sûr, l’homme pourrait tremper sa plume dans l’émeraude de mes yeux. Pour sûr, je croquerais chacune de ses superbes lignes. Mon cœur bat la chamade et je m’emballe. Dans mes veines, le sang bout et court-circuite ma raison. Assis à ma table, ce SAMEDI endimanché s’affaire à ralentir la débandade du temps. Il boit son latté par petites gorgées. Il me dévisage et j’ai l’impression que son cœur écrit de nouveaux mots sur mes joues, sur mon front; et cache quelques courtes phrases dans mon cou. Même si la peur m’assaille, je reste droite. Je ne suis ni page blanche ni ardoise rutilante, mais mon être est encore affamé d’amour. Mes phrases se fendillent, mes verbes craquellent et mes longs paragraphes peinent à se tenir debout. Pourtant, dans mon for intérieur, mon cœur affiche encore vingt ans.
Un matin de première neige, un homme magnifique passe devant ma table et me sourit. Beau comme une église, je le nomme DIMANCHE. Le temps passe, passe et un jour DIMANCHE s’arrête à ma table. Il me dévisage. Deux magnifiques yeux noirs, veloutés et brillants enflamment mon regard. J’attends et je dévisage ses lèvres tremblantes s’apprêtant à me dire quelques mots. « Je bâtissais des maisons, je suis à la retraite, je joue au golf, je vous trouve très jolie et je suis encore… marié. » J’ai des millions de mots à lui dire, mais je les avale tous. Le tout blanc de l’hiver endort les fourmis et mon cœur aussi.
Je dépéris. J’implore Chronos, le dieu du temps qui s’écoule, pour qu’il m’envoie une huitième journée.
Cora
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