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5 mai 2023

Une panne technique

Ce matin très tôt, Morphée tirait sur ma douillette pour me réveiller. Il avait une idée géniale à me transmettre; une fable concernant une grenouille savante qui voulait devenir aussi grosse qu’un bœuf. Morphée voulait savoir si j’étais capable de raconter cette histoire.

— « Je peux certainement essayer », que je réponds au célèbre Dieu du sommeil. « Allume quelques réverbères, car il fait encore nuit et je cherche mes pantoufles. » Je me lève, m’habille, m’installe sur la table de cuisine et j’essaie d’ouvrir mon iPad. Étrangement, le clavier refuse de bouger. Dormirait-il encore? Je pitonne, je frappe, je désespère et je me coule un deuxième café. Chaque fois qu’il m’arrive un problème avec l’iPad, mon cœur arrête de battre. Je paralyse. J’ignore totalement comment fonctionnent les machines que j’utilise pour vous écrire.

J’ai peut-être une tête regorgeante d’idées, mais je suis une imbécile heureuse qui finit toujours par trouver quelqu’un pour l’aider. Entretemps, je désespère. J’ai peur de perdre mon idée, peur que l’iPad soit brisé, peur que disparaissent mes précieux écrits.

Je pitonne, pitonne à droite, pitonne à gauche et bousille toutes les fonctions du clavier. J’ai envie de pleurer. Dehors, la clarté se lève à peine et je décide de me rendre au café. Je range l’iPad et mes feuillets de notes dans ma grande sacoche, attrape mes clés de voiture et essaie de me comporter comme si tout allait bien. Le temps est si doux que les bancs de neige fondent à vue d’œil.

Arrivant au café, j’accroche un sourire à ma bouille. Je m’installe à ma table habituelle juste à côté d’un nouveau jeune homme que je vois pour la première fois. Front dégagé, col roulé bleu et vareuse de toile anthracite, l’étranger semble sortir tout droit d’un roman de Charles Dickens. Oui, oui! J’ose à peine le regarder du coin de l’œil. Puis, j’insiste. Il m’a pourtant l’air d’un jeune homme d’aujourd’hui féru d’informatique. Mais comment l’aborder? Je ne suis qu’une totale étrangère pour lui; qui plus est, une vieillotte désemparée avec un iPad brisé dans ses mains.

Le café est presque vide. Je suppose que la température trop clémente empêche les habitués de s’y engouffrer. Me voici presque seule avec cet Oliver Twist des temps modernes. Prenant mon courage à quatre mains, je lui adresse la parole.
— Vous êtes nouveau? Aimez-vous l’endroit?
— Je viens d’emménager tout près d’ici, dans un condo industriel.
— Ha oui! Et qu’allez-vous faire dans ce condo industriel? Y loger?

— Deux amis et moi avons fondé une entreprise de services informatiques.
— WOW! C’est super. J’ai justement mon iPad ici présent qui refuse de travailler ce matin.
— Vous travaillez, madame?
— Non, je m’amuse à écrire des histoires.

Et voilà que le jeune homme tend sa main vers ma table et s’empare de mon iPad. Il l’ouvre, caresse le clavier, pitonne ici et là quelques instants et me le rend avec un grand sourire.
— L’appareil n’est pas brisé, madame.

Je jubile. Je l’ouvre et constate que la grenouille savante qui veut devenir aussi grosse qu’un bœuf est toujours là, dans le début de cette page.
— Merci tellement, jeune homme.

Et l’homme de me remettre une jolie carte professionnelle avec adresse, courriel et numéro de portable.

 

J’aime les petites grenouilles et je n’ambitionne pas de devenir aussi populaire que mes héros québécois : Robert Lalonde, Heather O’Neill ou David Goudreault. Je veux juste être moi-même, améliorant de jour en jour mes griffures d’écriture.

J’ai souvent la vision d’un horizon ensemencé. Aurai-je assez de temps pour que la grâce m’enserre, pour qu’une œuvre sorte de terre?

Cora
🐸🐂

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