Une damnée contrariété
Mercredi, 10 h 35 au bureau de l’Entreprise
Ouache! Ce matin, je suis contrariée. J’attends depuis trois jours une confirmation de rendez-vous et rien n’arrive. Depuis hier, je vérifie mes courriels aux dix minutes, j’essaie de contacter la personne en question et NADA. Impossible de la joindre, ni elle ni l’entreprise où elle officie.
Il s’agit pourtant d’une rencontre décisive pour moi, afférente à mon bien-être intellectuel et mental. Cette longue attente m’irrite et me distrait de toute autre pensée. J’enfile deux cafés de suite et encore RIEN. Cachée dans mon bureau, j’apprends de nouveaux mots : grogner, bougonner, ronchonner comme une adolescente privée de cinéma.
Lorsque je me calme, tout ce à quoi je peux penser c’est de vous écrire. Oui, oui! Chers lecteurs, vous êtes mon refuge préféré, une île de bonheur où j’aime me prélasser. Je ne peux pas encore vous parler de ce fameux rendez-vous, mais s’il est positif, il me comblera de bonheur; et vous aussi par ricochet.
Il m’arrive de penser que je suis trop vieille pour entreprendre de nouveaux défis. Et vite, juste à me souvenir de dame Janette Bertrand, j’enfouis cette idée au plus profond de mon jardin. Mon enthousiasme se remplume. Entreprendre m’a jadis très bien servie. J’excellais et je n’avais aucune peur. Je me souviens tellement. Dans l’arène, je fonçais comme un taureau dans la cape rouge du torero.
Deux fois, mon cellulaire a sonné pour autre chose que ce que j’attends. Je n’ai pas répondu. Un brin tranquillisée, je sors de mon bureau. Vous êtes avec moi. Nous traversons ensemble les longs corridors de l’Entreprise. Dans la cuisine, je me coule un troisième café. En voulez-vous une tasse?
Le saviez-vous? Mon nom de baptême est Marie Antoinette Cora, le nom d’une grande reine de France, épouse du roi Louis XVI. Une reine morte à 37 ans, guillotinée sur la Place de la Révolution (aujourd’hui nommée Place de la Concorde) le 16 octobre 1793 à 12 h 15 exactement.
C’était du temps où l’on ameutait les foules et où tout pouvait arriver, même occire une reine. Venant d’Autriche, la jeune noble Marie-Antoinette est arrivée à la cour de France alors qu’elle n’était âgée que de quinze ans. Dès son mariage avec le dauphin Louis, héritier du trône, elle montre des difficultés à s’adapter aux usages français et, devenue reine, elle multiplie, le plus souvent de façon inconsciente, les maladresses qui lui aliènent peu à peu l’opinion publique et contribuent à ternir son image de façon désastreuse.
Pauvre reine et bienheureuse Bibi qui a encore de nombreuses années à vivre. J’adore la vie, ses contrariétés et ses multiples beautés. Toutes les artères de la grande vie s’étant rouvertes, peut-être pourrions-nous, vous et moi, recommencer à réfléchir à de nouvelles aventures. Servez-vous un énième café, assoyez-vous tranquille dans un coin avec calepin et stylo et projetez-vous dans l’avenir. Comme un véritable acte de foi dans le futur, rédigeons une liste de tout ce que nous aimerions expérimenter avant de lever les feutres.
On peut commencer par écrire pêle-mêle tout ce qui nous vient à l’esprit et après on décline par priorité. L’objectif étant d’identifier des expériences, des souhaits, des rêves, des envies ou des défis qu’on aimerait relever. Dans le langage familier, l’exercice s’appelle « faire sa bucket list ».
Et voici que j’ose vous dévoiler la mienne. Je l’ai déjà fait pendant la pandémie, mais peut-être suis-je aujourd’hui beaucoup plus audacieuse. Et peut-être que les bucket lists c’est comme les détecteurs de fumée, il faut les revisiter à l’occasion. Voici donc ce que j’aimerais oser faire avant d’éteindre mon cœur :
1– Revoir Paris, la Place Saint-Germain-des-Prés, la Mère Poulard au Mont Saint-Michel et le café Les Deux Magots jadis fréquenté par Verlaine et Rimbaud, mes poètes préférés.
2– Aller à l’opéra pour la première fois de ma vie parce que je n’ai jamais pris le temps d’apprécier la voix humaine en action. Je me décide. Je veux voir Madame Butterfly à la salle Wilfrid-Pelletier de Montréal du 6 au 14 mai 2023. Ce sera un beau cadeau pour mes 76 ans en mai.
3– Visiter la Suède et plus spécialement les boutiques de l’artiste designer Gudrun Sjödén et ses collections de vêtements en harmonie avec les couleurs de la nature. Dans une autre vie, j’aurais tellement aimé être sa voisine et travailler dans ses ateliers.
4– Visiter l’Islande, mère patrie de mon écrivaine préférée, Andur Ava Ólafsdóttir, auteure de Rosa Candida et Miss Islande. Faire quelques fois le tour de l’île et admirer ses époustouflantes beautés.
5– Trouver un maître de haïku accessible dans mon entourage et suivre avec lui un atelier de création par pur plaisir créatif et pour améliorer mon écriture poétique.
6– Bien sûr, publier un nouveau livre ou deux avant que le labyrinthe de mes pensées s’assèche complètement.
On me l’a offert. J’ai dit oui et j’attends cette damnée confirmation de rendez-vous qui n’en finit plus d’aiguiser ma patience. C’est d’ailleurs le plus précieux des objectifs de ma « bucket list ». J’y tiens et je suis capable de bien le faire.
DRING DRING! DRING, DRING!
– « Bonjour, Madame Cora, je devais confirmer notre rendez-vous lundi dernier, mais j’étais dans un Salon du livre complètement époustouflant. Le grand hall d’exposition était archiplein et à chaque comptoir, de longues files d’admirateurs attendaient pour parler aux auteurs. Je m’excuse, chère Cora. La bonne nouvelle c’est cette importante recrudescence de lecteurs. Cet automne, j’en suis à mon troisième salon, et c’est la folie.
Tout enthousiaste, l’éditrice me confirme notre rendez-vous de vendredi matin. Je me calme enfin le pompon. La population aime encore la lecture, elle l’aime de plus en plus à ce qu’il paraît. Et peut-être aurais-je aussi la chance, chers lecteurs, de vous rencontrer en personne dans un Salon du livre et de vous serrer la pince. Mon cœur se remplit d’espoir; mon espérance de vie s’allonge. Puisse le Paradis patienter un brin; puisse-t-il attendre que je me vide de tous mes mots?
Cora
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