Un beau dimanche d'août
Revenue de ma virée gaspésienne et déjà installée tant bien que mal dans la routine du quotidien, que puis-je faire d’autre que vous déballer les maigres aléas de ma vie à la maison? Eh oui, la vie d’une PDG à la retraite ressemble à s’y méprendre à une courte pointe foulée au lavage. Quelques réunions ici et là, quelques conseils de fondatrice aux directeurs de départements, quelques recommandations trempées dans le chocolat pour mes enfants; ainsi s’amenuise mon importance de jadis.
Et pourtant! Combien de fois ai-je naguère imploré, tantôt anges, tantôt démons, pour un jour de tranquillité, un après-midi paisible de lecture, un film en plein jour avec popcorn et cola, ou pour simplement être capable de dormir jusqu’à midi un lundi matin?
Le ciel m’est finalement tombé sur la tête. Tout ce que j’ai demandé m’a été donné au centuple. Oui, oui. Vous vous souvenez des deux chipies dont je vous ai parlé au début de la pandémie ¬– la retraite et la vieillesse? Elles me sont arrivées main dans la main sans crier gare. Elles ont tout bousillé, du bon et du moins bon. J’ai donc dû, chaque matin, me contenter de l’ordinaire du quotidien.
Dieu merci, l’écriture m’a sauvée. L’écriture est devenue ma plante verte qui ne fait que croître et assainir mon existence. J’en ai besoin autant que de respirer. Et lorsque je n’ai presque rien de grandiose à raconter, ce sont les mots qui enrubannent les petits riens en surprises colorées.
Ainsi, ce dimanche matin, dans mon patelin des Laurentides, je suis attablée au café du village. Un va-et-vient d’enfer anime l’endroit. Presque personne ne s’assoit. Juste moi, toujours à la même table. Ce café-boulangerie est très bien situé, au centre de l’action du village. La plupart des clients s’y arrêtent pour faire le plein de pains et de viennoiseries pour la maison. Rarement, quelques réguliers s’assoient pour boire leur café. Presque tous me saluent. Pour eux, je suis celle qui écrit, pas celle dont le nom est affiché un peu partout au Canada. Pour moi, je suis celle qui a encore l’impression d’être utile à des lecteurs affamés de bavardages.
Le dimanche est un jour très spécial pour moi, car chaque dimanche matin, une lettre écrite de ma main est publiée sur la page Facebook des restaurants Cora. Et, chaque dimanche, je dois résister à la tentation d’aller voir combien de commentaires la lettre accumule. J’ai toujours peur que ce soit très peu. Je l’avoue humblement, le nombre de commentaires influence mon bonheur quotidien. J’attends donc un peu avant de jeter un premier coup d’œil. Et le mardi matin, je suis toujours abasourdie d’apprendre le nombre imposant de lecteurs qui apprécient mes gentils propos. Et, savez-vous quoi? J’ai mon petit rituel pour lire les commentaires. Je m’assois sur le divan vert sapin de la verrière avec, sur une petite table ronde, un calepin pour prendre des notes au besoin, un grand thé noir bien chaud et quelques délicieux biscottis au limoncello de marque Nonni’s que j’achète au Costco pour me récompenser. Ils sont vraiment très bons!
Je ne suis pas une écrivaine de métier. J’ignore encore comment inventer une histoire ou écrire un joli poème. Mais j’espère. Même si mon cheminement d’apprentie scribouilleuse s’améliore à pas de tortue, il laisse toute la place aux détails du quotidien, aux souvenirs resurgissant et à l’inattendu du jour. Mes paragraphes sont encore comme des averses de mots disparates, « la somme de tout ce que je vois, entends et perçois », comme disait le célèbre Robert Lalonde, écrivain québécois.
10 h 32
Comme chaque dimanche de l’été, je quitte la boulangerie vers 10 h 30 - 11 h et fais un arrêt au Marché aux puces du village. Une activité quasi bucolique tellement le site est champêtre. C’est aussi une occasion en or pour abattre un bon kilomètre de marche, une marche au ralenti bien souvent. Zieutant à droite, à gauche et très peu devant moi, je me cogne à un vieillard plutôt gentil. Comme nous sommes devant l’étal des légumes frais du jour, l’homme m’offre une brassée de ses blés d’Inde pour mon souper. J’en prends trois en le remerciant. Zut! À mon âge, j’ai encore les yeux plus grands que la panse. J’en mangerai deux et devrai congeler le troisième coupé en rondelles pour une soupe aux légumes cet automne.
J’avance à demi repentie et voilà qu’une pépite d’or attire mon attention. Un livre à 1 $ de la Docteure Elisabeth Kübler-Ross, honoris causa de plusieurs universités dans le monde. C’est une femme qui a passé sa vie auprès des mourants et qui croit fermement que « la mort n’est qu’un passage dans une autre forme d’une autre vie sur une autre fréquence » et, selon elle, « l’instant de la mort est une expérience unique, belle, libératrice, que l’on vit sans peur ni détresse ».
WOW! J’étais beaucoup trop jeune lorsque j’ai lu son livre pour la première fois. Je veux croire à ses propos, à sa phrase écrite en quatrième de couverture : « Mourir c’est déménager dans une maison plus belle. C’est tout simplement abandonner son corps physique de même que le papillon sort de son cocon ». Ciel! Je vais revisiter ce livre maintenant qu’un trois quarts de siècle me pousse vers la sortie. Et s’il faut partir, je déménagerai au paradis et chaque jour j’écrirai sur le parfait bonheur des élus.
12 h 06
Arrivée à la maison, j’ouvre le frigo. Comme j’ai déjà trois œufs coque écaillés, j’opte pour le meilleur sandwich au monde. Celui que nous offrons dans nos restos depuis toujours. Ce délicieux sandwich que nous appelons le MIDI DOLORES a été créé en l’honneur de la mère d’une de nos premières franchisées.
Tablier autour du ventre, je hache finement quelques branches de céleri, quelques échalotes, du persil en bonne quantité et les œufs durs. Dans un bol, je mélange le tout et ajoute deux petites cuillérées de mayonnaise, du sel et beaucoup de poivre. J’ai toujours aimé le poivre noir et d’aucune autre couleur. Je ne suis pas du tout fine gueule et souvent je me demande comment j’ai pu être aussi créative en inventant des assiettes de déjeuners que tous nos compétiteurs ne se fatiguent pas d’imiter. Bref, je grille deux tranches de pain multigrain et complète mon sandwich avec deux grandes feuilles de laitue frisée. J’ajoute à l’assiette des radis, des carottes nantaises et un concombre pelé et coupé en rondelles. Je suis presque persuadée que ces crudités quotidiennes ajoutées au plat principal sont le secret de ma taille de guêpe mature. Depuis le début de la pandémie, croyez-le ou non, j’ai perdu 15 livres à me gaver de crudités au lieu de chips, de deuxièmes portions ou d’extra bouchées de tout ce qui fait engraisser.
13 h 28
Je finis de boire mon thé à la table en feuilletant les pages du Devoir du week-end. Presque chaque jour, après le lunch, je m’endors sur le divan de la verrière en lisant. Aujourd’hui, Morphée devra peut-être attendre un brin, car je lis une histoire dont l’héroïne est splendide et captivante. L’auteure s’appelle JULIA KERNINON et le titre du livre est LIV MARIA, une histoire exceptionnelle!
Selon la quatrième de couverture, « La trajectoire de Liv Maria a la beauté aveuglante des tragédies antiques et l’intranquillité frénétique du monde contemporain. », – Marine Landrot, Télérama.
Cora
❤