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2 septembre 2022

Rivière-du-Loup direction Montréal, dernière lettre de voyage

J’arrive enfin à RIMOUSKI à 17 h 20. J’ai faim! Je longe le fleuve et, à la hauteur de l’Hôtel Rimouski, des centaines de finissants en costume de bal déambulent sur les pelouses et les trottoirs. Deux petits bateaux de croisière sont amarrés au quai. Les jeunes s’y engouffrent. J’ai tellement faim, mon ventre gargouille. Je quitte le bord de l’eau et tourne vers le boulevard St-Germain. Je stationne et entre dans l’emblématique Maison du spaghetti. Rassasiée, je décide de conduire jusqu’à RIVIÈRE-DU-LOUP. Vite, vite, un café pour me garder éveillée! Le ciel est encore très clair. La route est belle et le loup m’attend.

20 h 10. Me reste-t-il des cerises? Je n’ai plus de bonbons et j’ai la gorge sèche. Je traverse le pont vers RIVIÈRE-DU-LOUP. Je regarde à droite, puis à gauche, et partout en cherchant le loup et un gîte pour dormir. J’en trouve finalement un, un gîte, pas un loup! À 200 $, même les alentours de la GASPÉSIE sont dispendieux. C’est peut-être pour cette raison qu’autant de caravanes sillonnent les routes; bouffe et dodo à moindre prix, mais avec des paiements tous les mois de l’année. Chacun choisit son forfait.

Après avoir trempé dans un bain chaud, je termine la biographie de François Rabelais. Je m’endors dans un lit surdimensionné et hyper confortable. Réveillée très tôt, vers 4 h 30, je n’ai qu’une seule phrase dans la tête, la dernière qu’a prononcée Rabelais avant de mourir, le 9 avril 1553 : « JE M’EN VAIS QUÉRIR LE GRAND PEUT-ÊTRE ». Je répète cette phrase sans cesse jusqu’à conclure une énième fois que personne ne sait ce qui nous attend après.

Je range mes fringues, j’allume la Keurig et me coule un café noir. J’écris quelque deux heures jusqu’à vider ma tête et je quitte l’hôtel. Pressée de plonger dans mon divan favori des LAURENTIDES, j’accepte l’invitation de l’autoroute 20 pour retourner à la maison. Le pied lourd sur la pédale, je roule sur la longue queue d’une sirène qui nage plus vite que tout le monde. La gueuse ose sacrifier les terres agricoles. Elle bouscule les villages, la direction des vents et l’entendement des orignaux. À la hauteur de LA POCATIÈRE, des milliers de bébés sapins essaient de grandir, collés à cette vilaine. J’ai besoin d’essence. Lorsque la grosse coquille jaune de Shell émerge des nuages, il est déjà trop tard pour prendre la sortie. Je dois me concentrer comme Tom Cruise dans son F18. Les mots PÉTRO-CANADA apparaissent sur une pancarte. Je loupe encore la sortie! J’ai bien lu l’écriteau, mais en lisant, j’ai tout de suite oublié le numéro de la sortie. Damnée vieillesse! Un ami bienveillant m’a conseillé d’avoir un chauffeur. C’est impossible. J’adore conduire!

« Tout ce qui arrive n’est jamais sans conséquence », déclare Boucar Diouf à RADIO-CANADA. Il y a sept millions d’années, l’homme s’est levé debout. Et il a découvert le mal de dos. Moi, j’ai mal à mon genou gauche. Il m’arrive de plus en plus souvent de penser que les muscles de cette jambe sont en train de tricoter un petit foulard d’acier autour de ma rotule. Selon Boucar, un milliard de personnes ont mal au dos. Combien ont mal aux genoux?

L’autoroute 20, qu’on appelle aussi autoroute Jean-Lesage, est sérieuse. Sage comme une image. Elle n’a jamais appris à valser avec le paysage, ni à tourbillonner à travers les montagnes de GASPÉ ni à frôler un beau lac égaré dans la nature. C’est la plus droite de toutes les routes de la péninsule gaspésienne. Très chers lecteurs, pouvez-vous garder un secret? De grâce, ne dites à personne que je prends des notes en conduisant, dans un calepin déposé sur ma cuisse droite. Je sais! Mes enfants ne doivent pas lire ces lettres de voyage sinon ils vont m’enlever mes clés. Je semble douce et gentille, mais sous mes plumes de faucon, je suis une audacieuse qui n’a pas peur du danger. J’ai uniquement peur des serpents, des anguilles et de tout ce qui ondule sans membres sur cette terre.

Jeune maman, j’ai manqué mourir. Je passais la moppe dans la chambre des enfants. Dans la garde-robe se trouvait un gros sac brun d’épicerie. J’ouvre le sac et l’instant devient le pire de toute ma vie. Je vois une dizaine de jeunes serpents entortillés ensemble dans le sac. Mon cœur arrête de battre. Je sors de la chambre, ferme la porte et tire un fauteuil du salon pour le coller contre la porte de la chambre aux serpents. Fallait les empêcher de prendre leurs aises dans toute la maison. Sérieusement, j’ai cru mourir de peur!

11 h 20. Il me reste encore des cerises. J’en mange quelques-unes. Les noyaux s’envolent par la fenêtre. La douce pluie se transforme en orage. Je ferme les fenêtres. Un malencontreux noyau claque dans la vitre, recule et tombe sur mon chandail blanc. HORREUR! J’arrête net de manger ces maudites cerises. Il n’en reste que quatre ou cinq que je lance aux corneilles. J’hésite. J’ouvre un paquet de lingettes désinfectantes CLOROX. Vais-je faire pire ou mieux pour nettoyer le sang rouge de la cerise imbriqué dans les mailles du tricot blanc? « Dans le doute, abstenons-nous », me chuchote feu ma maman.

MONTRÉAL, 160 kilomètres. Je roule et, soudainement, tout ce que mes yeux voient, ce sont les nombreuses taches brunes foncées sur les deux mains qui tiennent le volant. Qu’est-ce donc? Des petits morceaux de vieillesse grillant au soleil? Je n’ai jamais pris soin de ma peau malgré les trois ou quatre pots de crème que je reçois chaque Noël. Je préfère de beaucoup recevoir de nouveaux livres, mais ma fille espère toujours que je m’améliore. Elle insiste chaque fois qu’elle me découvre des points noirs sur le nez, de nouvelles craquelures dans le cou, et le pire, ces damnés petits boutons rouges sur le haut de mon front. Quelques fois, je voudrais être une autre, une femme magnifique. Une Lise Watier, par exemple. Si douce, si noble et tellement belle. Je suis certaine qu’elle ne pourra jamais vieillir.

La 20 Ouest s’éclaircit et le ciel aussi. J’essaie de chantonner un brin. Mon cœur s’envole vers l’ISLANDE où vivent quelques-uns de mes auteurs préférés. Ces génies de l’écriture savent emplir leurs phrases de beauté et maîtrisent le judicieux équilibre entre l’homme et son habitacle.

13 h 29. Je croque une carotte, j’avale des vitamines et ça fait du bien à ma gourmandise. Quel pont est le moins congestionné pour entrer sur l’île de MONTRÉAL? C’est vendredi, les citadins fuient la ville, je suppose. Je cherche le sac de bonbons. J’en attrape un, « crème de coco à la menthe ». La menthe a bon goût, mais le coco ne goûte rien. Peinée, je croque le bonbon pour en finir et, miracle, je découvre une délicieuse crème de coco. Ainsi en est-il de la plupart de nos rencontres! On jase un peu et la plupart du temps, on s’éloigne. On jette le bonbon. Mais lorsqu’on insiste, lorsqu’on fracasse la première impression, on découvre bien souvent le délicieux, le merveilleux. Pourquoi sommes-nous si enclins à cacher le meilleur de nous-mêmes?

Ce petit cœur de bonté à l’intérieur de chacun de nous, c’est notre trésor, notre unicité, notre réservoir de tendresse et de générosité. Prenez-en bien soin, prenez soin de vous, très chers lecteurs. Prenez soin du noyau d’amour qui dynamise votre existence. C’est la grâce que je vous souhaite de tout mon cœur!

FIN DES LETTRES DE VOYAGE.

Cora

P.-S. – N’ayez crainte, plusieurs autres missives suivront!

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