Pourquoi ai-je autant tardé à écrire? J’avais, je suppose, besoin d’être secouée comme le pommier pour que les mots tombent d’eux-mêmes sur la terre ferme. Ce rêve d’écriture piétinait dans ma tête depuis toujours, mais la marâtre de vie m’en priva. Je me souviens, fillette, avec mes cuisses zébrées d’éraflures, je cherchais des trèfles à quatre feuilles. Je voulais tellement que la chance m’empoigne. Et voilà que je trouve une jolie branche dénudée de feuilles avec une excroissance en forme d’étoile à son extrémité. J’ai tout de suite pensé à une baguette magique abandonnée aux fourmis. Je l’ai saisie et, tout doucement, je l’ai utilisée pour caresser les lupins sauvages, les boutons d’or et les délicates campanules. Je voulais changer les fleurs en mots magiques. Peine perdue, ce sont les vilains chardons mauves qui m’ont griffé les doigts.
J’attendais qu’il m’arrive quelque chose de grandiose, mais chaque fois, un désir enfantin restait bloqué dans ma gorge. Je ne recueillais que des brindilles de tristesse et le sang des framboises sur mes petits doigts. Tant bien que mal, je tentais l’impossible.
À l’adolescence, cachée dans une petite chambre du sous-sol des parents, j’emmagasinais beaucoup trop de rêves. Ma nature gourmande m’empêchait d’être heureuse. Que d’heures perdues à me croire poète! Des milliers de feuillets barbouillés d’espoir s’empilaient sous mon lit; un ruisseau d’esquisses prometteuses se vidait dans la mer. Je n’avais, à cette époque, qu’un seul dieu, en retrait derrière un nuage.
Lorsqu’arrivèrent les études collégiales, mon cœur se mit enfin à battre très fort. Ces huit longues années furent un continuel banquet de connaissances et enfin, je pouvais ouvertement embrasser l’écriture; en faire l’œuvre de ma vie. Je jubilais. Dans ma tête immensément comblée, des milliers de mots se cherchaient de jolies phrases. Des histoires abracadabrantes s’échafaudaient et ma poésie, j’en étais certaine, allait pouvoir réveiller tous les endormis du monde. Pour sûr, j’allais bourrer mes poches de lourds cailloux pour ne pas m’envoler.
Les derniers examens réussis, j’allais fêter avec quelques copines. J’avais aussi réussi l’examen du permis de conduire et papa me prêta sa petite Volvo blanche pour ma première sortie dans la grande ville. Je me croyais intelligente et instruite. J’étais sotte et ignorante des choses de la vie.
Même les plus belles feuilles d’érable sautent dans le vide lorsque l’automne les décolore. Mes bévues sont inracontables. Cent mille oreilles pour m’entendre si je pleure. J’allais prendre mon erre d’aller et encore la gueuse de vie m’en priva.
Depuis, je récapitule à répétition mon enfance cabossée, mon envol mort dans l’œuf et ce mariage abimé qui me donna pourtant trois beaux enfants. Je ne peux plus rebrousser chemin. Ainsi va la gouverne du monde; l’achèvement de l’été, la décoloration de l’automne, les lourds froids blancs et nos vies amplement chargées de malheurs. Nous nous en allons tous vers une nouvelle terre incognito et il nous est possible de nous reconstruire galamment.
Oui, oui! J’ai beaucoup tardé à entrer dans le monde de l’écriture, mais je n’ai pas perdu mon temps. J’ai expérimenté ce qu’était la vie et j’ai compris que les griffures du temps sont longues à guérir.
Malgré l’indiscipline des mots et malgré mon cœur faussement tranquille bien souvent, je vais continuer d’écrire jusqu’à ce que le bon Saint-Pierre me tende la main.
Il y a quelques mois, mon grand ami cuisinier et moi sommes allés faire une petite virée à Ottawa. Je voulais aller serrer la pince à quelques-uns de nos franchisés de la région. Ensuite, je désirais visiter l’épicerie « WHOLE FOODS » de la rue Bank, le célèbre Moulin de Provence et tout le Marché By. Le clou de la journée allait être un souper dans un restaurant chinois connu mondialement à cause de ses délicieux « egg rolls ».
Je fais ce genre de voyage à l’occasion d’abord pour visiter nos restaurants établis un peu partout au Canada. J’en profite pour rencontrer nos franchisés et me familiariser avec nos supers employés corporatifs. Ils sont ma tête et mes yeux dans les restos et semblent toujours heureux de me rencontrer. Nous lunchons ou soupons ensemble bien souvent lorsque l’horaire le permet. Je suis extrêmement reconnaissante envers tous ces gens qui veillent au grain, qui aident et appuient nos valeureux franchisés. Lorsque je fermerai mes yeux pour toujours, je voudrais que l’on répande mes idées au pied d’un immense pommier. Ma dépouille entortillée dans les racines de l’arbre, j’imaginerai chaque jour des milliers de pépins de pomme qui feront apparaître des vergers. C’est ainsi que j’aime me représenter mon réseau de franchisés.
Comme je ne vais pas mourir de sitôt, revenons à nos moutons! Sur l’autoroute 50 vers Ottawa, je constate qu’un ange bienveillant vient tout juste de balayer l’hiver pendant que nous discutions cuisine et mangeaille. L’ami Éric, originaire de Suisse, a immigré au Canada il y a plus de 30 ans. Il a étudié la grande sagesse culinaire dans son pays et travaillé dans les plus grands palaces de Genève et de Lausanne. Grand voyageur, il parcourt le monde à la recherche de nouvelles saveurs. Son palais est un proche cousin de celui du grand Bocuse. L’amitié qui nous lie goûte immensément bon! Nous cuisinons ensemble très souvent et expérimentons de nouvelles façons de faire pour surprendre nos amis.
Une fois arrivés près du centre-ville d’Ottawa, nous nous rendons sur la rue Bank où se trouve l’extraordinaire marché « Whole Foods » que j’ai découvert au cours de mes virées américaines. Il s’agit d’une chaîne écoresponsable avec, entre autres, des produits frais, biologiques, naturels et écologiques. Je me régale à pas de tortue en ratissant tout simplement les allées. À chaque visite, je découvre une tonne d’excellents produits : nourriture, pâtisseries, céréales inusitées, fruits exotiques, cosmétiques, savons et poissons de toutes sortes. Je raffole aussi des plats à emporter. Comme nous venons de déjeuner à notre restaurant CORA de Kanata, je deviens raisonnable et n’achète que du saumon séché pour rapporter à la maison.
Passionné de crèmes magiques pour sa peau, Éric passe une grosse demi-heure dans l’allée des miracles en petits pots. Oui, oui! J’exagère à peine! L’homme vient de fêter ses 70 ans, mais en fait à peine 50. Il ne mange que de la bonne nourriture, des produits bios de préférence. Il aime énormément la viande qu’il cuisine avec dextérité et il excelle dans les sauces.
Je suis peut-être une spécialiste des bons plats matinaux, mais je n’ai aucun talent pour la viande, moi qui en mange si peu. Comme dit mon entourage, je suis une Gaspésienne qui mange de la morue d’Islande. La meilleure au monde, selon mon ami Éric!
Le temps file à 100 à l’heure lorsqu’on veut tout voir, et plus spécialement notre restaurant CORA de la rue Rideau. Je pensais me souvenir de l’adresse exacte, mais ma mémoire est aussi vieille que l’ancienne mairesse de Mississauga, Hazel McCallion, qui a régné pendant 36 ans. Je l’ai d’ailleurs rencontrée lorsque nous avons inauguré notre premier restaurant en Ontario, puis chez elle, quelques semaines plus tard, pour prendre le thé. Cette femme extraordinaire est décédée deux semaines à peine avant de fêter ses 102 ans, en 2023. Elle était un modèle d’efficacité pour moi, et j’espère l’imiter en matière de longévité.
Quelques bouffées d’air et nous entrons dans l’immense CORA tout de bleu vêtu et décoré d’une vingtaine de cadres significatifs en guise de clin d'œil à l'évolution de notre marque à travers le temps. Dans cet endroit bellement habité, j’ai l’honneur de serrer la pince à mon franchisé. Nous prenons quelques photos pour immortaliser l’instant et, comme toujours, plusieurs clients s’approchent pour une photo avec « la » madame Cora. Mon cœur, telle une véritable reine, aime tous ses sujets. Je n’ai peut-être pas de réel amoureux, mais ma vie déborde d’amour. J’ai des amis extraordinaires, des collègues géniaux, des franchisés bien intentionnés et des clients qui me choisissent depuis toujours.
Tourne à droite, tourne à gauche, nous cherchons la devanture du Marché By et son célèbre Moulin de Provence. Lors de sa visite officielle au Canada, le 19 février 2009, Barack Obama est entré dans le Moulin de Provence pour acheter des biscuits pour ses deux filles et sa femme. Il a choisi des biscuits rouge et blanc sur lesquels était inscrit « Canada ». Depuis cette célèbre visite, l’engouement pour ces biscuits surnommés « Obama Cookies » s’avéra absolument incroyable. Le Moulin de Provence vendit pendant longtemps tellement de biscuits que le propriétaire du commerce voulut remercier le Président en versant 10 000 $ dollars à la Fondation Obama.
Nous nous promenons dans le marché et je m’empresse de programmer sur mon téléphone le trajet vers le GOLDEN PALACE. Jadis trop occupée à ouvrir des restaurants, j’y suis allée une seule fois, il y a environ dix ans et j’ai toujours voulu y retourner. La vie passe tellement vite! Puis une pandémie nous a immobilisés et j’ai oublié mes bonnes adresses de jadis.
Mon ami me fait plaisir en acceptant de nous conduire au vieux restaurant chinois. Il ne s’agit pas du tout de son genre de nourriture et j’ai cru qu’il craindrait même d’entrer lorsqu’il verrait que la bâtisse est aussi vieille que l’arche de Noé. Oui, oui! Le Golden Palace a célébré son 63e anniversaire en 2023 et je mettrais ma main au feu qu’aucune rénovation n’a été faite pour rajeunir l’endroit. Tout est vétuste, détérioré par le temps et l’usure. S’y trouvent deux chandeliers branlants et, dans un coin, comme élément de décoration, un chat ou peut-être un tigre géant.
Tous les serveurs se dirigent assurément vers les cent ans, mais ils sont immensément polis, gentils et souriants. Je suis presque certaine qu’ils viennent tous de la même lignée. Ils nous présentent un menu aussi vieux qu’eux-mêmes avec un sourire fendu jusqu’aux oreilles.
Je suggère à mon ami de commander le dîner numéro 2, pour deux. Le tout comprend deux soupes wonton, un « egg roll » chacun, une assiette de chow mein au poulet, des côtes levées à saveur BBQ, une assiette de riz frit au poulet et deux biscuits aux amandes. Lorsqu’Éric croque une bouchée de son « egg roll », il tombe en pâmoison. Il n’a jamais goûté quelque chose d’aussi bon! Nous avalons avec appétit, car tout est délicieux.
Je n’avais pas raconté à mon ami que je connaissais déjà le Golden Palace. Comme il aime les « egg rolls » et qu’il n’en trouve jamais d’assez bons, j’ai voulu le surprendre et lui faire connaître l’or en barre que représente le « egg roll » pour le Golden Palace. Ces petits délices sont livrés en format de deux douzaines presque partout dans le monde, par livraison prioritaire le lendemain.
Évidemment, nous avons quitté l’endroit avec chacun une douzaine de délicieux « egg rolls ». Avant notre virée à Ottawa, j’étais allée au Golden Palace juste une fois, mais quelques superviseurs de notre réseau avaient toujours la gentillesse de me rapporter une douzaine de ces merveilles lorsqu’ils venaient à notre siège social. Hier soir, en commençant cette lettre, j’en avais trois à réchauffer dans le grilloir pour mon souper.
Cora
❤️
En Gaspésie jadis, à la fin juin ou au début juillet, le temps de faire les foins arrivait. Cette année-là, j’avais 7 ans et j’allais devoir aider grand-père Frédéric à ramasser le foin coupé et séché. Pour moi, le moment marquait le commencement des grandes vacances.
Grand-père dirigeait les opérations. Le matin de la fauchaison, les travailleurs se partageaient le champ et cousin George était toujours le premier à commencer. On m’avait postée tout près de l’immense brouette pour que je rassemble le foin séché qui en tombait afin d’en faire un tas qu’un adulte allait ramasser et lancer tout haut dans la grosse charrette. Je suivais le cortège avec, dans mes petites mains, un lourd râteau de bois avec des dents manquantes. Avançant à pas de tortue, je zieutais de loin le cousin George et mon jeune cœur tourbillonnait comme une brindille soulevée par les grands vents.
Chaque année, grand-père s’assurait de réunir le nombre de bras nécessaires pour que le travail se fasse à temps. Après la coupe et le séchage du foin, il fallait avoir deux hommes pour râteler, un pour charger la brouette, un troisième pour fouler le foin et un quatrième pour conduire le tracteur. Heureusement que la récolte visait à l’autosuffisance d’une seule grande famille.
Cousin George avait roulé les manches de sa chemise ouverte et son torse blanc, visible sous le mince tissu de sa camisole, explosait au soleil. Ses longs bras, ses grandes mains tenant la faux, sa chevelure couverte de brindilles dorées, et ses yeux aussi bleus que l’océan me subjuguaient. De mon poste, je le dévisageais et le vent m’amenait son énigmatique odeur.
Il faisait si chaud! Le cherchant des yeux une énième fois, j’ai vite remarqué que ses boucles blondes dégouttaient sur ses larges épaules, sur son torse maintenant dénudé. Je le trouvais si beau! Selon grand-père Frédéric, ce cousin George était le meilleur faucheur du canton. Certes, il avait une bonne faux qu’il n’employait que là où il ne courait pas de risque de rencontrer des pierres.
Lorsqu’un lointain clocher sonnait midi, les hommes avaient déjà cinq ou six heures de travail dans le corps. Tante Hope arrivait avec un immense chapeau de paille et un assez gros panier de victuailles. Elle se dirigeait vers le plus proche sous-bois et étendait deux grandes nappes à carreaux. Puis elle criait mon nom pour que je vienne l’aider à beurrer les tranches de pain de ménage. Chaque travailleur, je m’en souviens encore, recevait une généreuse assiettée de fèves au lard garnie d’une épaisse tranche de jambon. Puis la tante Hope ouvrait les thermos de café et sortait d’une boîte en métal les fameuses galettes à la mélasse du Bas-du-Fleuve. Le dessert vite avalé, l’un après l’autre, les travailleurs s’isolaient à l’ombre pour piquer un petit somme. Tante Hope et moi, nous replacions dans le panier les victuailles restantes, les deux nappes et les thermos vides.
Étendu à l’ombre de quelques bouleaux jaunes, cousin George mâchouillait une mince branche. Il avait roulé sa camisole en boule pour s’en faire un oreiller. Je le regardais de loin et j’entendais battre mon cœur aussi fort qu’un sabot de cheval sur l’asphalte.
J’ai eu peur, je n’ai plus su quoi dire ou quoi faire. Son torse nu collé à la terre, ses bras bronzés, ses yeux mi-clos; était-il en train de rêver? Quel âge avait-il? D’où venait-il? Au village, l’écume des vagues distillait des ragots : tante Hope était-elle sa mère ou sa grand-mère? Je ne l’ai jamais su.
Cousin George, aujourd’hui tu reviens dans ma mémoire, soixante-dix ans plus tard. Serait-ce pour honorer ce premier amour enfantin que tu m’as inspiré? C’était en 1954, avec grand-père Frédéric, pendant que nous faisions les foins. Tu étais un jeune homme si beau que mon cœur s’est emballé, cet été-là, pour la première fois. Si petite, j’apprenais l’amour et ça me faisait mal. Ce n’était pas ta faute. Nous n’avions même jamais échangé un seul mot! Fillette, je suppose, j’imaginais de toute pièce cet engouement amoureux. Comme ces cadeaux que j’attendais à Noël et qui n’arrivaient jamais. Ces premiers battements de cœur, je ne les oublierai jamais.
Te souviens-tu, cousin George, que ce jour-là après la sieste, tu avais perdu ta chemise à l’ombre de quelques bouleaux jaunes? Je te trouvais tellement beau que mon cœur s’est fourvoyé. J’ai voulu garder quelque chose qui venait de toi et j’ai dérobé ta chemise pendant que tu dormais! Des mois, je l’ai gardée dans mon lit, sous mon oreiller. Je la sentais, je la câlinais. Son odeur m’endormait. Sache, cousin George, que ta beauté est restée gravée dans ma mémoire à tout jamais.
Cora
❤️
Voilà! Je me lance. J’ai enfin décidé d’écrire une histoire inventée. Depuis quelques mois, je tourne et retourne cette idée dans ma tête. Pourrai-je y arriver? Inventer de toutes pièces une intrigue; peut-être une histoire d’amour avec un ensemble d’événements et assez de faits pour constituer un court récit. Une nouvelle, comme l’appellent les écrivains de métier. J’ai toujours rêvé de devenir une véritable auteure à succès, mais par où devrais-je commencer? J’ai lu quelque part qu’écrire c’est comme « gravir une montagne sans quoi il n’y aurait guère d’intérêt à vouloir toucher les cimes ». C’est bien vrai! Si je me lance, j’aurai besoin d’un aigle géant pour m’aider à grimper très haut.
Je rumine une idée, je cherche un filon, une histoire peut-être à moitié inventée. Et vlan, l’idée jaillit! Depuis quelque temps, il y a ce nouvel ami qui nous courtise au café où j’écris. Cet homme a l’air plutôt vieux, mais il a bonne mine. Il aime boire des lattés et apprécie certainement notre groupe d’amis. Avant-hier, il nous parlait de sa déconcertante histoire d’amour.
Pianotant sur mon iPad, je l’entendais discourir, parler ouvertement d’une certaine « catin » qu’il avait dans la peau. Ciel! Pourrais-je m’emparer de cette histoire? L’enlaidir ou l’embellir? Moi qui en sais si peu sur l’amour et sur l’attachement à la chair, j’ai dû consulter l’ami Google pour apprendre la signification de l’expression « avoir quelqu’un dans la peau ». L’expression remonte au XIXe siècle et signifie « être follement, follement amoureux de quelqu’un ».
Google m’informe aussi des plaisirs de la chair, ceux-là mêmes qui sont toujours à demi pardonnés. Trop manger, s’empiffrer, avaler la mer et tous ses poissons. J’attends, je désespère; je ne sais plus à quel saint me vouer. Peut-être que pour moi, l’amour constitue le pire sujet d’écriture? Qu’en sais-je? Je n’ai encore jamais aimé à en perdre la boule!
Ce soir, assise à ma table de cuisine, j’implore la page blanche avec un cœur vacillant, quelques idées en déroute et la peur de ne pas être à la hauteur. Mes doigts pianotent dans le vide; j’entends craquer un mur; la noirceur extérieure m’enferme dans une cage. Trouverais-je une faille par laquelle entrer dans l’histoire de sa tigresse éhontée?
J’ai appris que la première fois que l’homme discret la vit, il en tomba follement amoureux. Pour elle, il quitta sa femme, ses enfants, son foyer et son statut. Et pourtant! Il découvrit rapidement qu'il s'agissait d'une racoleuse, débrouillarde et bougonne de petite vertu. Mais cet homme l’aimait et lui pardonnait toutes ses frasques. Élevée dans une famille trop peu recommandable, cette femme admirait tous les grands bandits et les pires canailles. Petits oublis de payer, gros larcins, elle exploitait toujours le système à son avantage.
L’autre matin, le même vieillard nous fit pouffer de rire. Il nous raconta qu’à l’époque, les orteils des gars crochissaient juste à regarder sa dulcinée. Orpheline en bas âge, cette catin, cette force de la nature contrôlait plutôt bien son propre univers. Elle barguignait, marchandait et volait tout ce qu’elle pouvait sans jamais se faire prendre. Comme le passe-temps favori de madame était le magasinage, presque chaque jour elle s’y adonnait.
S’empiffrant de mets de première qualité dans les grands restaurants, sa beauté lui servait de précieux viatique lorsqu’elle oubliait de payer.
Croyez-le ou non, ce couple si mal assorti a vécu en concubinage pendant vingt-cinq longues années. Croisière dans les îles grecques, voyages dans le Sud, bagues en or, colliers de diamants, tours de gondole à Venise, escalade du mont Fuji; tout ce qu’elle désirait, mon ami lui donnait. Parce qu’il l’aimait. L’extraordinaire bleu des yeux de cette femme l’envoûtait. C’est d’ailleurs ce que tout le monde autour d’eux supposait.
Cette semaine au café, cet homme vieilli, isolé, blessé et abandonné s’ouvre pour la première fois à notre cercle d’amis. Il déballe ses frustrations, ses regrets, ses idioties et son immense chagrin de s’être retrouvé le bec à l’eau. Oui, oui! Cette poulette l’a plumé jusqu’au dernier sou.
Quant à moi, je constate une fois de plus que la fiction se révèle souvent moins tragique que la réalité.
Cora
❤️
J’adore écrire et ce matin j’ai envie de vous présenter mon abécédaire de mots triés sur le volet. Ce sont des mots ordinaires, significatifs et porteurs de jolis messages capables d’embellir notre quotidien.
AUJOURD’HUI est une succession de rencontres, d’actions et d’instants, qui peuvent être vécus pleinement dans le présent. Prenez le temps d’apprécier ce que vous dites, ce que vous faites en ce jour, car demain cogne déjà à la porte.
La BIENVEILLANCE est une preuve de confiance. Dans sa relation aux autres, son intention est toujours de créer des liens sans égoïsme et sans partialité. J’essaie de toujours faire preuve d’empathie et de gentillesse envers les autres. Peut-être est-ce ainsi que j’ai attiré d’aussi bons amis?
Toute réussite est l’occasion de CÉLÉBRER, de vanter les mérites et de mettre en valeur une personne, une équipe ou un résultat. Jadis comme femme d’affaires trop occupée, j’ai souvent oublié d’honorer les bons coups de mes collègues et employés. Aujourd’hui je les remercie beaucoup plus souvent et j’espère qu’un jour mon écriture endimanchée pourra célébrer l’humanité des gens ordinaires.
Chaque soir, avant de m’endormir, je rêve à ce DEMAIN qui sera toujours meilleur qu’hier. Ma tête sur l’oreiller, je l’imagine plus beau, plus sage et porteur de plus grands espoirs. Je suis une idéaliste qui anticipe toujours le meilleur. Je m’active, je fais ce que je peux aujourd’hui et j’ai toujours hâte à demain.
L’ESPOIR est un sentiment qui m’incite à attendre avec confiance un dénouement heureux. C’est une promesse qui, chaque fois, me redonne de l’énergie. L’espoir est un demain qui ouvre des fenêtres dans mon cœur. J’espère l’impossible et je réalise le possible.
Je voudrais apprendre à m’envoyer une lettre de FÉLICITATIONS. Oui, oui! Pour mes écrits du dimanche, pour mes mots triés sur le volet et pour l’immense joie que j’éprouve à être lue. Faites un geste concret, chers lecteurs. Félicitez-vous chaque matin d’être encore en vie. Achetez-vous des fleurs ou des chocolats. Anticipez le meilleur et lancez vos félicitations aux quatre vents.
Mes amis sont ouverts, généreux, délicats et prévenants. Leur GENTILLESSE « est le langage qu’un sourd peut entendre et qu’un aveugle peut voir » (Mark Twain). J’aime tellement mes amis et je n’abuse jamais de leur gentillesse. J’aurais trop peur d’épuiser leur bon vouloir.
Ce soir, c’est la grande Simone de Beauvoir qui m’apprend « qu’entre deux individus, l’HARMONIE n’est jamais donnée; elle doit indéfiniment se conquérir ». Wow! J’écoute des musiques apaisantes, je me cherche des affinités et un équilibre réussi. Quant à la complémentarité de deux êtres, peut-être dirais-je que j’avance à pas de géants.
Depuis toujours l’IMAGINATION est ma copine et ma folle du logis. J’aime écrire et, lorsque mon ciel s’embrume, elle vole à ma rescousse. Sur ma page elle lance du rose et du bleu. « Partons en voyage », me dit-elle! L’imagination est l’air qui gonfle ma montgolfière et me donne des ailes. Je rêve, je vole, je m’imagine en train de réussir mon plus beau roman. Ce que je ne vois pas est infiniment plus important que ce que je vois.
Être capable de trouver sa JOIE dans la joie de l’autre; voilà peut-être le secret du bonheur. J’ai trimé, besogné, roulé ma bosse et, par bonheur, j’ai rencontré quelques immenses joies. Le sourire de mon premier-né, le berceau de ma fillette que j’ai moi-même brodé. Aujourd’hui, j’ai enfin la conviction que je suis née sous une bonne étoile et j’ai confiance en moi.
Selon la tradition hindouiste, le sort de chacun est déterminé par le bilan moral de ses vies antérieures : celui qui reçoit maintenant aura beaucoup donné avant. Chacun son KARMA, dirais-je. Si on veut changer sa destinée, il faut s’activer. Dans tout ce que j’entreprends, j’essaie de faire de mon mieux. Je recule, j’avance. Je n’abandonne jamais.
Soyons libres penseurs, libres, rieurs et utilisons notre libre arbitre. La LIBERTÉ est un des dons les plus précieux que le ciel ait fait aux hommes. Profitons-en. Tellement de dictatures ici-bas enchaînent l’homme et la femme sans raison. Vous connaissez certainement le fameux Bernard Werber, un des romanciers les plus lus depuis la publication de son roman intitulé Les fourmis. Eh bien, cet homme a écrit « le libre arbitre des hommes consiste à choisir la femme qui décidera à leur place ». Hihihi!
Selon Ingrid Bergman, la célèbre actrice suédoise, « le bonheur c’est d’avoir une bonne santé et une mauvaise MÉMOIRE ». Comme un muscle qui se développe et s’entretient. La mémoire stocke plus ou moins d’information, crée des liens pertinents entre des sensations et des expériences. Ma propre mémoire est souvent comme une ardoise effacée lorsqu’il s’agit des difficultés que j’ai rencontrées. J’ai trimé, j’ai eu peur, j’ai souvent oublié le meilleur.
J’apprends à dire NON; à refuser de devoir me justifier. Oui, oui! Je ne suis plus l’oiseau sur la branche qui penche et qui risque de tomber. Avec l’âge, ma raison se solidifie et j’assume mes décisions; ma liberté de dire oui ou non.
OSER, c’est inventer le possible derrière l’impossible. À mes débuts en restauration, j’ai tout de suite osé me dépasser et aller au-delà de mes appréhensions. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai pu créer un tout nouveau concept de restauration matinale que tout le monde a su envier. Vieillotte aguerrie, j’ose aujourd’hui être entièrement moi-même, de la tête aux orteils.
Peut-être que le PARADIS n’existe que par opposition à l’enfer. Cet endroit paradisiaque me tourmente depuis ma tendre enfance. Ma mère disait toujours que nous, les enfants, devions laver nos pieds et nos mains avant d’aller dormir pour ne jamais risquer d’arriver souillés à la porte du paradis. Cette consigne m’est restée! Toute ma jeune vie, ma tête imaginait un Jésus éclatant de lumière. Aujourd’hui, c’est mon cœur enfoui sous mes chairs qui cherche la lumière…
Q R S T U V W X Y Z… à suivre, peut-être?
Cora
❤️
Que me reste-t-il à faire avant de mourir? Ce qui peut arriver à toute heure, ce soir ou dans deux ans, dix et peut-être vivrai-je jusqu’à cent ans? Ce qu’il me reste à faire, c’est vivre, évidemment! Ouvrir mes yeux chaque matin vers 5 h et attendre que le soleil se réveille. J’adore cette clarté blanchâtre qui précède la naissance du jour. Ce bleu clair envahissant la terre, telle une immense mer à l’envers. Devant tant de beauté, je referme mes yeux et laisse l’aiguille du temps s’envoler.
Où suis-je? Je rêve, je suis confuse, je cherche le paradis. Serait-il en haut, tout blanc, ou peut-être au fond des mers, tout vert? Comment pourrais-je quitter cet endroit paradisiaque? Les fleurs, les immenses sapins, ma famille, mes livres, mes écrits et mes arrière-petits-fils heureux de bientôt s’asseoir sur les bancs d’école.
Je somnole encore en imaginant une toute petite fille qui marche à quatre pattes dans la cuisine de Caplan. Elle mâchouille un petit poisson séché et me sourit. Serait-ce possible de recommencer ma vie? Je veux juste vivre encore quelques années, découvrir qui je suis, me guérir et apprendre à aimer.
Qu’est-ce que vivre? Si la vie était de longues vacances, et elle est loin de l’être, on regretterait à la fin comme on le fait toujours de ne pas avoir vu ceci ou cela : le Sphinx de Gizeh, la tour Eiffel ou quelques kilomètres de la grande muraille de Chine. Dans cet autocar qui amène une poignée de vivants aux portes de l’au-delà, de quoi parlerait-on avant de ne plus parler?
Je me tais. J’avale mes questions puis j’explose. Je crie mes regrets : de ne pas avoir terminé mes études classiques, de ne pas être devenue une grande écrivaine, de m’être retenue d’agir selon mon cœur et ma vraie volonté. J’aurais tellement dû refuser d’épouser le mauvais père de mes enfants.
J’ai encore tant de choses à vivre avant le grand départ. Ma tête s’agite, mon cœur s’enflamme! C’est difficile d’apprendre à mourir lorsqu’on n’a jamais appris à vivre. Devrais-je dresser une liste de choses à faire, à voir et à penser pour davantage ressentir la beauté de la vie au-delà des limites que je lui ai moi-même fixées? Pourtant, j’aime cette vie, ma vie. Quelquefois tranquille et pourtant si bonne et si belle! Lorsque je me contente d’une monotone quotidienneté, je risque d’être déçue. Si je chasse les abeilles de mes platebandes, pour sûr je ne peux m’attendre à recevoir le miel.
Suis-je bien vivante? Je m’interroge. Je tâte mon bras gauche, mon sein droit, mon cou, mon ventre. Je suis faite de poussières d’étoiles selon le célèbre astrophysicien Hubert Reeves. J’aurais tellement voulu le rencontrer en personne, lui demander où nous allons lorsque nous nous envolons. Serions-nous vraiment les enfants des étoiles incarnés sur terre? Et, dites-le-moi, qui serait le père d’autant de marmots?
Je suis forte, je suis sotte, ma pendule déraille. Tel un poupon, je confonds le jour et la nuit. Dans un coin de ma tête, je cultive la sagesse et cette miséreuse pousse à pas de tortue. Il me reste si peu de temps!
Je désespère, l’âge défigure ma beauté. Il plisse ma peau, tache mon front, renfonce mes joues et affadit mon goût. Mes rêves d’aventure fondent comme glace au soleil.
J’écris et je tremble de peur. Rien n’arrive que ce qui doit arriver. Je voudrais m’envoler, je voudrais rester, m’attacher à un chêne géant et ne plus bouger. Pourrais-je réfléchir et me définir avant de partir? Mon chemin de vie a toujours été de cultiver mon imagination et d’explorer de nouvelles formes d’expression. Je surmonte ma peur de ne pas être à la hauteur. Jeune fille, je cousais mes vêtements, j’écrivais des poèmes, je dessinais des fleurs, des visages, de jolis hiboux et des têtes de lion dont j’imaginais le sort.
C’est inné, l’artiste en moi est capable de voir le potentiel d’une idée, d’un paysage, d’une couleur ou d’une tournure de phrase. Ma tête s’emballe, mes doigts s’activent. Ils avancent dans un Sahara imaginaire, sur une page blanche soudainement inondée de milliers de pattes de mouches. Ainsi m’arrive la grâce des mots, la générosité de l’écriture. Je crée chaque matin en expérimentant l’advenance des mots arrachés au chaos. Je plane, je vole; le parfum des lilas enrubanne mon été.
Dans ce généreux monde des mots, ne pourrais-je point imaginer ma propre mort? Voir cette immortelle dame arriver tout doucement comme arrive le printemps. Entendre les sirènes des bateaux, les cris des pêcheurs, le doux chant des goélands, les pleurs des enfants. Je nous vois, la mort et moi, avançant sur le quai. Nos robes roses soulevées par le vent. Nos souliers blancs souillés d’écailles de poisson. Un aigle géant nous empoigne et je souris. Je sais que c’est la fin et pourtant je suis bien. L’oiseau connaît le chemin jusqu’à la porte des anges. Ouvre-moi, maman!
Cora
❤️
Toute ma vie de femme d’affaires, je n’avais pas d’amis. Certes, j’étais entourée de collègues attentionnés, d’employés extraordinaires et de franchisés triés sur le volet, mais pas de véritables amis avec lesquels discuter d’autres sujets que les affaires. À cette époque, j’étais tellement occupée, préoccupée et accaparée par mille et une choses que je n’avais vraiment pas le temps de socialiser avec des amis. Les magnifiques hommes d’affaires qui voulaient me rencontrer étaient la plupart sur le qui-vive. Ils voulaient tous faire affaire avec notre entreprise et me savaient sélective et intransigeante. Je ne barguignais jamais. Ni marchandage ni tergiversation. S’ils voulaient me vendre quelque chose, je lançais mon prix et ils devaient acquiescer ou retourner chez eux.
Dans ce temps-là, j’ai souvent pensé qu’un homme habitait ma tête. J’étais pourtant une intellectuelle, une artiste des mots sans aucune formation en affaires. J’apprenais mon métier de franchiseur en dévorant des biographies d’hommes ayant développé de grands réseaux de franchises. Heureusement, j’avais toujours quelques pas d’avance pour me rassurer. D’ores et déjà, je savais que le risque d’échouer était beaucoup plus grand que celui de gagner. La beauté de la chose c’est que je n’ai jamais eu peur! Comme avoir peur d’un ours malin, peur de manquer d’argent, ou peur de n’avoir aucune capacité d’invention.
Lorsque j’ai ouvert mon premier bouiboui, la restauration matinale de l’époque (1987) souffrait d’un manque flagrant de bons déjeuners. C’est donc ma caboche qui a dû mettre son tablier pour créer des déjeuners inusités, magnifiques et capables d’éblouir des milliers de clients. Un, deux, trois, quatre, cinq, six. Le septième restaurant Cora devint un établissement franchisé! Ce restaurant exceptionnel du West Island est encore debout et bien vivant au 187, boul. Hymus, à Pointe-Claire.
Il a bien fallu se rendre à l’évidence, j’étais douée en créativité et en affaires. J’avais créé un magnifique concept de restauration matinale et il me restait maintenant à parcourir mon propre chemin de Compostelle, semant des franchises un peu partout à travers notre grand pays. Tout ce temps, j’étais audacieuse et prudente, économe, et grippe-sou. Je ne cessais de grossir notre équipe d’experts et je m’empressais toujours d’ouvrir le prochain restaurant. J’ai pris des risques calculés sans jamais mettre en danger le cœur de nos opérations.
Je me souviendrai toujours de la fin de l’été lorsque nous allions cueillir des noisettes avec grand-père Frédéric. Chaque année, avec la même poche de jute, grand-père nous apprenait à détacher les noisettes de l’arbre et à les mettre dans la poche qu’ultérieurement il pendait dans la grange pour faire sécher les précieuses noisettes. Puis, après quelques mois de séchage, il frappait la poche sur un mur de pierre plusieurs fois pour sortir les noisettes de leurs écailles. Grand-mère gardait précieusement ces petits trésors et nous en donnait parcimonieusement quelques-unes le dimanche pour qu’il en reste jusqu’à Noël. Comme la grand-mère qui me donnait au compte-gouttes quelques noisettes, trente ans plus tard, je récompensais mes enfants qui m’aidaient au restaurant avec quelques maigres dollars comme argent de poche.
Dans cette seule petite vie bien chargée, comment aurais-je pu faire pour aller vers les autres et m’en faire de véritables amis? Je tournaillais sans cesse comme une girouette en cherchant toujours le meilleur emplacement pour installer le prochain gros Soleil jaune. Il a fallu que je donne mon rôle et mon titre à mon plus jeune enfant pour m’habituer à ralentir. C’est bien sûr l’affreuse pandémie qui a réussi à m’immobiliser. J’ai changé mon mode de vie. Puis, lorsqu’on nous a permis de sortir de nos chaumières, j’ai commencé à écrire dans le café du village où je me suis fait des amis.
Oui, oui! Tout doucement comme l’oisillon qui apprend à voler, je murmurais des bonjours à mes voisins de table et ils me rendaient la pareille. Je souriais et je jubilais. Quelques semaines aidant, nous rapprochions nos tables pour apprendre à nous connaître. Telle l’abeille qui tout doucement se nourrit du nectar des fleurs, moi j’apprenais l’amitié; ce sentiment réciproque et aussi précieux que du véritable miel. Je ne peux pas dire que ce fut difficile de me faire des amis. La fonceuse que j’étais s’en était privée parce que j’avais à cette époque un urgent besoin de gagner ma vie et surtout d’assurer la survie de mes trois enfants. Disons donc que l’amitié m’est servie aujourd’hui comme un superbe dessert, comme un cadeau, comme une récompense. Je ne vais pas fuir les défis qui m’occupent encore l’esprit et qui m’empêchent de vieillir.
J’aime énormément mes amis et les frasques qu’ils me racontent, comme leur envie de mourir debout. Ensemble nous apprenons que vivre c’est être sans cesse confronté à ce qui nous dépasse. Nous en parlions l’autre matin en constatant combien c’est facile de devenir vieux dans nos têtes et de se laisser aller à la fatigue et à la lassitude. « Moins nous en faisons, moins nous voulons en faire », disait Georges, le plus vieux d’entre nous (82 ans). J’ai vitement répondu que ma caboche et mon être profond ne seront jamais à la retraite. Je déteste le mot retraité, car il ressemble à un fragile bibelot à tête branlante avec une canne à pommeau.
En vieillissant, nous ne pouvons le nier, une part de nous demeure jeune comme l’est toute création en train d’advenir. Que le Dieu d’en haut bénisse cette continuelle jeunesse qui nous empêche de faiblir. Je m’interroge. J’ai peut-être jadis manqué d’amour, mais je suis aujourd’hui entourée de valeureux amis chevaliers servants.
Très tôt, dimanche dernier, un vieil homme entre dans le café et s’approche de ma table. Je ne l’avais jamais vu. Ses deux mains appuyées sur la chaise en face de moi, il se penche et me dit « Chère dame, votre modestie est un signe de grandeur ». Puis il me salue, se tourne, se rend au comptoir à café, commande un latté pour emporter et quitte les lieux. Ni vu ni connu. Je suis la seule cliente dans le café.
Cette année, c’est entourée de mes amis que je célèbre mes 77 ans bien sonnés. Je m’estime bien chanceuse d’avoir un cercle si bien tissé, des gens qui veillent sur moi, qui prennent de mes nouvelles et avec qui je passe du bon temps.
Cora
❤️
La neige a fondu, le froid décroît et les jeunes pousses du gazon verdissent rapidement. Ce matin, j’ai même vu quelques fourmis à la queue leu leu, essayant de grimper sur ma galerie. J’ai faim, j’ai soif; j’ouvre la porte de la cuisine et y entrent quelques éclairs de chaleur, quelques bouffées de bonheur. Je m’installe à ma grande table pour écrire, je pianote quelques phrases et mes doigts se réveillent. Deux, trois, cinq pages noircissent, le temps d’avaler mes premiers cafés.
C’est quand même quelque chose de voir la froide saison céder sa place à l’été! J’avais 5 ou 6 ans et je me souviens de mon père qui disait que dans 50 ans, la Gaspésie serait aussi chaude que la Californie. Bof! Avant de m’envoler, aurais-je le temps de me brûler les orteils sur l’asphalte en janvier?
J’ai lu hier soir qu’il semblerait que certaines vertus thérapeutiques de l’écriture ont un effet bénéfique sur les humeurs féminines. Qu’en sais-je? Je suis maintenant si vieille. Ma seule médecine consiste à encapsuler mes mots dans l’encre et j’en abuse à profusion.
Au café, l’autre matin, une jeune femme déclare qu’écrire ne mène à rien. Elle a peut-être raison. C’est en servant de bons déjeuners que j’ai gagné ma vie, mais aujourd’hui, je n’arrêterais jamais ma plume, car c’est l’écriture qui enrichit mon bonheur. Oui, oui! Écrire est à ma vie un superbe dessert. Hier une crêpe aux fraises, cet après-midi un gâteau à la pistache et demain ma tarte aux pommes préférée badigeonnée de sauce au sucre à la crème.
La jeune femme continue son discours :
— À quoi ça sert madame, de noircir des pages à longueur de journée? Ne pourrais-tu pas voyager? Voir l’Espagne, la tour Eiffel ou Venise et ses magnifiques gondoles, ses superbes cafés, l’île de Murano et ses artisans du soufflage de verre? N’as-tu pas tout dit depuis 4 ans, poursuit la femme abêtie en haussant les sourcils.
— Qu’est-ce donc qui te motive à taper des mots au lieu d’être dehors à profiter des brises douces du printemps? Le temps s’enfuit comme un filou et toi, chère dame, tu tapes, tu tapes et tu vieillis. Tu recommences inlassablement une nouvelle histoire. Tu sasses, tu brasses, tu inventes une intrigue, quelques personnages et une fin qui ressemblera à un nouveau recommencement!
Quelle détestable questionneuse que cette jeune femme qui n’aime pas les mots! Un doute m’assaille. Quel malheur ce serait si je devenais un puits presque vide! Je ne fais de mal à personne en noircissant mes pages. Je réfléchis un moment et lui remets quand même la seule copie de mon livre que j’ai encore dans mon sac. La femme semble surprise, mais se tait enfin.
Ce soir encore, sur ma grande table, j’écris. Qui donc pourrait décrire aussi bien que moi les larmes de l’hiver tombant sur la terre chaude du printemps? Je tape et je tape encore jusqu’à ce que l’horloge passe minuit quand soudainement, je vois une petite souris sortir d’une armoire. Je la suis des yeux. Elle traverse sous la table, longe le mur, entre dans le salon et se cache sous mon divan rouge. J’ai si peur des souris, moi qui suis si seule dans cette grande maison! Je me calme, je me rassois et je réfléchis. J’invente un nouveau paragraphe. Un chemin tracé en pleine forêt avec des arbres centenaires et des pousses de muguet. Dans le plus gros chêne, un trou géant, un refuge parfait pour ma famille de souris. Et patati et patata, je les gave de fromage et elles oublient l’adresse de mon logis.
Je ne me fatigue jamais de poursuivre un inépuisable filon d’idées. Je saute une ligne, j’achève une page, j’ai toujours hâte d’entreprendre une nouvelle histoire. Ce plaisir enfantin d’aligner des mots me fait penser à frérot, inlassable joueur de billes. Tout concentré qu’il était, le garçonnet se taisait, s’immobilisait, visait et lançait la bille de verre coloré le plus loin possible. Comme lui, j’arrête, je pense, j’invente, et je tire, mais moi c’est à la sève des arbres que je m’abreuve pour me construire des châteaux.
Je ris, je pleure, j’ai souvent les émotions en compote. Oui, oui! Je m’acharne à embellir mon monde et les milliers d’oiseaux qui se posent sur mes lignes, sur mes mots, dans mes histoires et dans mon cœur. Ce qui me motive à continuer d’écrire c’est ma capacité d’avancer; d’aller plus loin; d’aller au plus profond et au plus sérieux dans l’âme du monde éparpillée en chacun d’entre nous.
Ressemblerais-je à celle que j’aurais voulu être à 20 ans,
Mon cœur grand ouvert, mes yeux si verts,
Les vagues bleues, les poissons discutant entre eux?
Cora
❤️
J’avais cinq ans et déjà je te savais tellement triste, maman.
Ce martyre des doigts rongés d’eczéma, tes mains momifiées, gantées, brûlantes de douleurs, maman.
Ces trop-pleins matinaux quand tu traversais chez la voisine pour supposément emprunter un demiard de crème, maman.
Ces nuits blanches passées à découdre et recoudre un vieux paletot pour m’en faire un joli manteau, maman.
Je me souviens de tes bons petits plats, des confitures que tu nous faisais, maman.
Coudre, cuisiner et nettoyer. Tu as toujours fait ton devoir, mais ton triste cœur fut incapable de nous aimer, maman.
Tes longs silences déboussolaient nos petits cœurs assoiffés d’amour, maman.
En t’affairant à tes besognes, ta vaillance à toute épreuve, tu devais t’occuper l’esprit pour éviter de penser à ce qui t’avait arraché le cœur, maman.
La rage, la peine et la déception devaient t’épuiser tous les jours. Cet immense secret que tu as gardé jusque dans ta tombe, maman.
Nous ignorions ton incommensurable peine tandis que tu souffrais en silence, maman.
Indiscernable et menaçante, une mystérieuse douleur avait chamboulé ta vie et la nôtre, maman.
Notre enfance, nous l’avons vécue effacés, ayant toujours peur de te déplaire, maman.
Je t’en ai voulu. J’avais besoin de connaître les vraies choses de la vie et tu ne m’as rien enseigné ni à tes deux autres fillettes qui, comme moi, ont dû inopportunément accueillir un poupon, maman.
Était-ce le manque de connaissances ou la peur qui t’empêchait de nous parler? Nous étions des oies blanches et tu as laissé nos ailes se salir, maman.
Cette ignorance maudite nous a causé mille tourments. Comme toi, sans amour, tes filles se sont accouplées. Et nos vies, en pure perte, sont devenues des champs de bataille, maman.
Tu ne savais rien de ma triste vie d’alors. Si malheureuse que j’étais, il m’arrivait de penser à ma propre fin, maman.
Dans cette collision frontale, ton chagrin, ton secret et toi-même êtes morts au même instant, maman.
Lorsqu’à la morgue j’ai dû t’identifier, j’ai eu très peur. Tellement peur de ton visage déconstruit, du sang coagulé sur tes joues, des veines ouvertes dans ton cou, maman.
Aussi coriace soit-elle, la vie m’a pourtant choyée. À tes funérailles, une de tes sœurs m’a enfin raconté ton secret. Cette histoire aujourd’hui inimaginable, tu l’as pourtant vécue et elle a gâché ta vie, maman.
Tu étais la plus belle maîtresse d’école du canton, amoureuse d’un protestant que l’Église t’a interdit d’épouser. Tu t’en souviens, à cette époque la religion gouvernait, maman?
Tu as écouté ton père lorsqu’il t’a présenté un brave et vaillant jeune homme récemment revenu en Gaspésie. Grand-père l’aimait beaucoup, mais toi, tu en aimais un autre, maman.
Je m’en veux tellement de t’avoir accusée, critiquée, blâmée sans même avoir connu ta triste destinée. Mille milliers de fois, je m’excuse, maman.
Tout l’amour inutilisé que je garde en moi, je te le donne au grand complet, maman.
Attends-moi là-haut, car ensemble, pour sûr, nous recommencerons une nouvelle et magnifique vie, maman.
Ta fillette,
Cora
❤
AVERTISSEMENT : Cette lettre contient des détails en lien avec un décès qui pourraient offenser certains lecteurs. Nous préférons vous en avertir.
Ce matin, au café du village, j’ai ce terrible avantage d’entendre de la bouche d’un véritable policier tous ces affreux moments de la vie quotidienne que certains humains tolèrent et endurent jusqu’à rendre l’âme tellement ils en souffrent. Oui, oui! L’histoire quasi inimaginable de ce matin, je vous la raconte pour nous inciter à apprendre à connaître et à considérer nos voisins, nos amis et tous ceux qui nous semblent dans le besoin.
Alors qu’il était en devoir ce jour-là, mon ami policier reçoit un appel du concierge d’un immeuble de six logements qui se plaignait d’une odeur inhabituelle et qui insistait pour que la police s’amène sur les lieux. La police s’exécuta pour une vérification de bien-être. Juste à l’approche de la bâtisse à multiples logements dont il connaît l’adresse, le policier flaire une étrange odeur. De saleté? De brûlé? De viande avariée? Il s’agit de quelque chose de pire, suspecte-t-il. Les deux hommes empruntent l’escalier jusqu’au troisième étage et s’arrêtent devant la porte de l’appartement numéro six. Le policier confirme qu’il s’agit d’une odeur de putréfaction.
– « Quelqu’un est mort dans l’appartement? », demande le concierge.
– « Un corps mort commence à sentir en dedans de 72 heures, dépendant de la cause du décès », répond le policier.
J’ai demandé à mon ami comment il se faisait que les habitants des différents logements n’aient pas senti l’étrange odeur de la mort. « Tout probablement parce qu’elle ne leur était pas familière avant ce drame. » Il affirme que cette odeur, on ne l’oublie jamais.
Lorsque le policier entre dans le logement numéro six avec le passe-partout du concierge, il voit tout de suite le corps d’un homme dans un fauteuil roulant présentant les signes d’une mort évidente. Des lambeaux de chairs brunes et noires pendent du crâne de l’homme, ses joues sont renfoncées, vidées de leur substance avec un bataillon de grosses mouches noires picorant dans les yeux du mort.
L’agent de police constate aussi que le seuil de marbre de la salle de bain avait probablement bloqué le fauteuil roulant du vieillard. Le pauvre était coincé et mourut possiblement d’épuisement ou de faim. « Une véritable tragédie », dit le concierge, les larmes aux yeux. Le policier continua sa visite et, en entrant dans la seule chambre à coucher du logis attenante à la cuisine, il constata la présence d’un deuxième corps inanimé, couvert d’un drap jusqu’au cou, et la tête noircie.
L’agent rebrousse immédiatement chemin, appelle son supérieur et demande la présence d’un enquêteur et d’un autre collègue pour remplir les deux rapports de décès. D’après le concierge, ces deux personnes étaient âgées de plus de 80 ans. Étaient-elles malades? Seules dans l’appartement? Le couple avait-il des enfants? La police allait devoir trouver toutes les réponses à ces questions et tenter de déterminer la cause des décès.
À l’arrivée du second policier, rédacteur du rapport d’événements, ils firent diligence pour préserver et garder intacte la scène des deux décès. Portant des gants de protection, l’un des policiers prit le carnet d’adresses qui se trouvait sur la table de chevet de la défunte. Sous la supervision de l’enquêteur principal, le policier rédacteur ouvrit le carnet et trouva trois prénoms de femme, sans nom de famille. L’agent de police composa le numéro sous le premier prénom, s’identifia et demanda à la voix de femme au bout du fil de s’identifier à son tour. Instantanément, la femme demanda ce que l’homme faisait chez ses parents et le policier lui expliqua que les deux résidents du logis d’où il téléphonait venaient d’être retrouvés morts.
– « C’est impossible, s’affola la femme. J’ai parlé à ma mère hier matin! »
Le policier ne l’a pas contredite. Étant donné l’état de décomposition avancée des deux corps, la mort datait d’environ 10 à 15 jours.
Très chers lecteurs, j’ai raconté cette histoire immensément triste parce qu’elle m’a fendu l’âme et parce que mon ami policier m’assure qu’encore aujourd’hui, plusieurs personnes âgées subissent le même sort. Ce vieux en fauteuil roulant et sa compagne à peine capable de marcher selon le concierge, vivaient dans un trois et demi au troisième étage d’un édifice sans ascenseur. Qui s’occupait de qui?
Aujourd’hui, le policier est retraité depuis plus de vingt ans. L’année dernière, il s’est retrouvé célibataire. En s’étant rappelé la triste histoire qu’il vient de me raconter, l’homme s’interroge. Arrivera-t-il à prendre soin de lui jusqu’à la fin en demeurant dans sa maison de trois étages? Cette demeure avec deux longs escaliers; un pour descendre bricoler au sous-sol et l’autre pour grimper au deuxième étage pour dormir.
L’histoire dont mon ami s’est souvenu ce matin provoque en nous beaucoup de questions; chez lui-même, chez l’ami George (82 ans) et chez moi, bien sûr. Nous sommes restés pour boire un second café et réfléchir à haute voix. « Il faut vite y penser, de dire le policier, car l’âge s’enfuit comme un voleur et nous pourrions rester le bec à l’eau, isolés, mal installés, loin des nôtres et ignorés de nos voisins ».
« On est tous des solitudes, de dire à son tour le vieux George. On naît seul et on mourra seul, comme de vieilles souris déboussolées, affamées, cachées bien souvent dans les profondes armoires… »
Quant à moi, qui approche les 77 ans, je crois que si la vieillesse est une dégradation progressive du corps, il s’agit cependant d’une incroyable occasion d’enfin ralentir la cadence. De prendre soin de notre esprit comme jamais nous n’aurions eu le temps de le faire en gagnant notre vie. Aujourd’hui, ce corps intelligent nous force à ralentir la plupart du temps, pour mieux chouchouter notre petit cœur et les amis qui nous entourent.
Prenons soin de tout un chacun; appelons nos amis, gardons contact avec nos voisins, assumons cette vérification de bien-être dont les âmes esseulées et vieillissantes ont tant besoin. Chaque minute, aimons notre vie d’aujourd’hui. Peut-être que plus nous l’étirerons, plus nous risquerons de mériter quelques granules de sagesse.
Cora
❤
J’ai lu quelque part que « la manière dont nous racontons notre histoire a une grande influence sur notre bonheur ». Donc ce matin, j’arrête de me lamenter et je contemple le bleu paradisiaque du ciel. Bien sûr, comme tout le monde mordant dans la vie, j’aurais voulu rencontrer un artiste, un poète, un oiseau rare qui vole très haut, mais j’avais déjà trois enfants et les deux pieds cloués sur terre. Avec le cœur et la charpente à l’ouvrage pendant tellement d’années, je le confesse, les chiffres à cette époque étaient beaucoup plus importants que les hommes et les mots.
C’est ainsi que j’ai mûri sans m’en apercevoir jusqu’à ce qu’arrivent dans ma vie ces deux terribles chipies (Retraite et Vieillesse) dont je vous ai déjà parlé. Avec l’âge pour sûr, s’amène aussi dame Solitude. On perd des plumes, on perd des proches, des amis, des sœurs ou des maris, et l’on se retrouve le bec à l’eau. Vous vous souvenez d’avril 2020, la peur du siècle déguisée en horrible virus? Le temps de crier gare, j’étais esseulée, apeurée, encabanée entre les montagnes avec juste mes mots pour me tenir compagnie.
La sorcière COVID raffermit mon vide et m’apprit à me taire. J’avais peur de mourir. Heureusement que sur mon toit tout noir, des dizaines de corneilles piaillaient et attiraient mon attention. Je leur lançais des croûtes de pain et elles s’approchaient de ma galerie. Ces premières copines de solitude m’ont gardé en vie. J’en vins à parler aux fourmis, aux vers de terre et à la grosse marmotte vivant sous ma galerie. La chaleur aidant, je m’installais chaque avant-midi dans le gazon et j’attendais l’arrivée des pissenlits.
Pendant que l’affreux virus ignorait encore mon adresse, à la télé chaque soir, on comptait le nombre de vieux s’envolant par la fenêtre. J’ai eu peur, j’ai eu soif; je revoyais en rêve les jolis ruisseaux de mon enfance. Puis l’été explosa en beauté. Des arcs-en-ciel joliment colorés paradèrent dans les rues. Je sors marcher. Devant moi, un vieux couple collé, soudé ensemble pour mieux avancer. Comme je les envie! J’entends le bruissement des branches s’étirant au soleil; l’effervescence des abeilles; le doux parfum des fleurs. Levant ma tête bien haut, j’admire une parade d’outardes m’écrivant des mots dans le bleu pâle du ciel.
Les semaines passent et le pire expire. « N’en parlez plus », répète une speakerine américaine à la télé. Vite, vite, j’ouvre mon clavier et mes doigts s’affairent d’abord à remercier l’univers d’être encore en vie. J’écris aux anges et j’emmitoufle mes lignes dans du papier doré, puis je console tout ce qui bouge autour de moi. Avec mes mots qui volent, mes phrases qui s’envolent, une nouvelle vie s’écrit comme un roman que l’on a enfin envie de lire.
J’aime créer du sens en donnant vie aux mots. J’adore commencer un paragraphe tout doucement comme on entre dans l’eau d’une rivière, puis plonger tête première dans une révélation. Oui, oui! Très chers lecteurs, c’est exactement ainsi qu’arrivèrent les LETTRES DU DIMANCHE. Dans la cuisine de ma tête, je me suis mise à composer de savoureux déjeuners de mots. De courtes histoires pour vous mettre en appétit, des recettes faciles à faire de caramel maison, de sucre à la crème et de délicieux gâteaux. Plus les dimanches arrivaient vite et plus ma verve s’enthousiasmait. Mon cœur rempli d’amour se réjouissait d’être en votre bonne compagnie.
Sans vraiment le réaliser, j’ai fait ce que je sais faire depuis que je suis toute petite : ÉCRIRE. Alors, je vous ai écrit; d’abord mes recettes et ensuite la belle histoire de notre entreprise, et par ricochet l’entière saga de ma surprenante vie. Oui, oui! Je me suis avancée dans la mer jusqu’à la taille, jusqu’aux épaules, jusqu’au large bien souvent. Vous m’avez suivie; vous m’avez aimée. Vous avez peinturé en rose toutes les taches brunes de mon corps. Vous avez fait de mon cœur un phare, un bouquet de minuscules lumières irradiant mes lignes.
Sachez que le fait d’écrire ces LETTRES DU DIMANCHE a réveillé l’écriture qui sommeillait en moi. J’ai découvert que mon plus grand plaisir consiste à aligner des mots; à jeter sur la page une histoire à peine construite dans ma tête et à l’écrire à l’encre noire en écarquillant bien mes yeux. Ma mémoire est un réel coffre aux trésors; un album de photos bien vivantes. Invitant dame Créativité et dame Inspiration, sur la blancheur de la page, je dépose le griffonnage du temps.
En me lisant, vous m’apprenez à mieux écrire.
Cora
❤
Comme nous sommes tous des restaurateurs et d’excellents cuisiniers dans la famille, notre brunch de Pâques fut, sans vantardise, une table d’exception! Oui, oui! Ce fut d’abord ma petite fille qui disposa sur la grande table trois magnifiques plateaux de fruits joliment coupés et garnis de fraises, de framboises, de cerises et de bleuets. Vite, vite, tous les jeunes enfants grimpèrent sur leur chaise et étirèrent leurs bras vers les plateaux colorés. Quelques minutes plus tard, ils avaient les joues bleu-rose et leurs petits tabliers tachetés de jus de framboise.
J’avais moi-même préparé le mélange à pain doré et l’appareil à crêpes, mais dès que ma fille entra dans la cuisine, c’est elle qui prit le commandement des opérations. Il lui restait à assembler les différentes composantes de chaque service. Avec sa fille à ses côtés, elles firent d’abord cuire une vingtaine de crêpes composées de différentes garnitures : épinards-feta, jambon et fromage suisse, bacon-cheddar et les délicieuses crêpes aux pommes badigeonnées de notre caramel maison qu’elles gardèrent au chaud sur le réchaud du poêle.
Ma fille et sa fille s’occupèrent ensuite de faire rôtir toutes les viandes du traditionnel déjeuner québécois et les mirent sur la table avec une grosse soupière de fèves aux lard, une belle grande assiette de saumon fumé garnie de câpres et d’oignons rouges, un gros bol de patates rôties, mes fameux cretons ainsi qu’un bel assortiment de confitures maison : fraises, framboises, bleuets, oranges et marmelade d’agrumes. J’ai depuis longtemps la main habile pour les confitures. Je ne mesure jamais rien et c’est mon doigt du milieu, le majeur, qui me dit quand il faut éteindre le feu. Je réussis à tout coup!
Lorsqu’arriva l’heure de griller les différents pains, toasts, bagels, et délicieux croissants, les deux garçons de mon plus vieux étaient au poste. Ils dressèrent des carrés de beurre dans de petites assiettes et les disposèrent devant chaque couvert. Puis, la quinzaine d’adultes s’installa à la table et le festin débuta. Ayant bu plusieurs cafés en jasant, ils se ruèrent sur le jus d’orange. Ciel! Je me souviens encore de ce fameux jus d’orange que j’interdisais aux employés et à mes enfants de boire lorsqu’ils travaillaient. À l’époque, ce jus importé directement de la Floride était dispendieux et précieux. Personne n’en buvait sauf les clients qui payaient.
J’étais pauvre comme Job lorsque, en 1987, j’ai ouvert notre premier petit resto. C’était un vieux casse-croûte déglingué, fermé depuis deux ans, et rempli de toiles d’araignées. Je m’en souviens comme si c’était hier : 29 places assises que j’avais pu acheter en vendant notre maison de banlieue. Je ne pourrai jamais comprendre pourquoi, mes jeunes enfants et moi, nous sommes tout de suite tombés en amour avec cet endroit.
Peut-être était-ce pour eux une nouvelle aventure? Peut-être était-ce pour moi l’opportunité d’une brillante destinée? Il fallut frotter, nettoyer, peinturer, coudre quelques jolis tabliers et écrire notre menu sur les murs. Jamais, à cette époque, je n’aurais pu imaginer qu’un exceptionnel concept de restauration matinal allait sortir de mes méninges. Déménagés dans un troisième étage d’une rue commerciale de Montréal, à proximité du bouiboui, les enfants se sont habitués aux bruits de la ville, aux transports en autobus et aux nuits blanches que maman passait à inventer de nouveaux déjeuners.
Aux fourneaux, ma fille et sa fille sont prêtes à prendre les commandes d’omelettes. Elles ont sur le comptoir à côté d’elles une quinzaine de petits bols contenant les différentes garnitures à omelettes. Et vlan, le service se fait rondement! À les entendre, on croirait que tous les adultes n’ont rien mangé depuis trois jours! Assise au bout de la table, mes yeux espionnent le faciès de chacun. Ils ont faim, ils ont soif, ils mangent avec appétit.
Mon fils le plus vieux félicite les cuisinières et les remercie chaleureusement. Avant même d’avoir reçu son assiette principale, il se propose pour faire la vaisselle et sa compagne le seconde. Cette très chère Josée est aussi une bonne cuisinière, elle excelle notamment à cuire les viandes, et son homme, gros mangeur, est comblé.
Tous les convives sont contents. Les petits ayant mangé plus tôt, ils courent dans la grande maison, jouent à la cachette et s’amusent avec les bricoles que leur grand-père (mon plus vieux) leur amène à chaque visite. Tous les adultes se resservent du café en jasant comment s’ils ne s’étaient pas vus depuis dix ans. Puis Josée quitte la table et m’exhorte à rester assise.
- « Vous en avez assez fait, belle-maman! Je m’occupe de la vaisselle. »
Lorsque finalement les conversations tiédissent, les enfants de mes enfants se lèvent et dévalisent les restants, comme chaque fois qu’ils viennent chez grand-maman! C’est encore ma fille et sa fille qui s’occupent d’emballer les viennoiseries, les crêpes, les viandes, les fèves au lard, les fromages et tout ce qui reste sur la table. C’est à qui prendra ce qu’il aime le plus! Lorsque la table est vide, le poêle et les comptoirs nettoyés, les jeunes aident à la vaisselle. Vite, vite, la cuisine brille et les adultes déménagent au salon. Il est temps de digérer, de parloter, et de me redire encore combien c’était bon. Je n’ai presque aucun mérite, j’ai juste à les rassembler. À Noël, à Pâques et à la fête d’un arrière-petit-fils.
Combien de brunches de Pâques pourrai-je encore animer? Le temps passe tellement vite! Trois courtes années et j’aurai 80 ans sonnés. Peut-être aurai-je aussi les doigts croches, les rotules fêlées et la mémoire en cavale? J’oublierai ma superbe recette de cretons, l’âge de mes arrière-petits-fils et peut-être l’adresse de ma belle-fille? D’ici là, j’ai encore toute ma tête et j’entends bien profiter de chaque occasion pour nous réunir et célébrer!
Cora
❤
Une liste de gratitude est une liste de remerciements adressés à tout ce qui vous rend heureux. Idéalement, elle doit être quotidienne et rendre hommage aux petits moments qui ont illuminé votre journée. Il s’agit de partir du sentiment de reconnaissance et de relever dans votre quotidien ce pour quoi vous vous estimez chanceux et reconnaissant.
Les experts disent que l’exercice est peut-être difficile au début, mais qu’on s’y habitue rapidement. Machinalement, on peut aussi remercier la vie tous les soirs en s’endormant et tous les matins en constatant qu’on est encore vivant.
J’ai personnellement mon petit rituel de gratitude. Chaque samedi après-midi après ma sieste, je me coule un énième café et j’ouvre mon cahier rose que je remplis de gros MERCIS. Oui, oui! J’ai découvert la gratitude, pourrais-je dire, pendant la pandémie. Au lieu de craindre de mourir, j’ai commencé à remercier l’univers d’être encore en vie. La peur s’est enfuie et j’ai tout doucement appris à reconnaître ce qui m’arrivait de bon.
Toutes mes journées d’écriture sont différentes, mais je peux affirmer chaque jour que je suis reconnaissante d’être en vie! J’ai toujours une bonne raison pour dire merci à un ami, à une bonne idée et surtout, à la folle du logis qui me garde alerte et inspirée.
Voici quelques phrases extraites de ma liste de gratitude :
– Merci l’ami! Tes gros bras et ta précieuse compagnie m’ont beaucoup aidée à installer dans mon salon deux nouvelles bibliothèques IKEA.
– Merci à mes enfants qui ont fait de moi une courageuse maman.
– Merci, chère Pénélope, c’est ton amour qui me garde en vie.
– Merci à la voisine généreuse qui m’a donné de si bonnes confitures!
– Merci à mes amis qui m’invitent à les accompagner à des sorties et des événements.
– Merci pour tous ces cafés savourés en bonne compagnie!
– Merci, cher Claude, d’avoir réparé le thermostat de mon plancher chauffant.
– Merci à Stephen l’Irlandais qui m’a accompagnée au lunch annuel de la Saint-Patrick et à ma bonne amie de nous avoir invités.
– Merci à l’ami Bruce avec qui j’entretiens toujours de sérieuses conversations.
– Merci à Marie-Pierre, l’hôtesse de l’air préférée de notre groupe d’amis, pour toutes ces délicieuses importations privées de chocolats, rapportées de ses voyages sur le vieux continent.
– Merci pour cette précieuse inspiration qui me vient d’en haut.
– Merci à la folle du logis qui m’inspire et gouverne mes pensées.
– Merci pour ma persévérance, ma patience et mon amour des mots.
– Merci pour mon âge avancé, à la sublime vie qui me garde forte et en santé.
– Merci le temps pour cette incroyable balade en traîneau.
– Merci pour la place bien au chaud que vous me réservez là-haut.
– Merci pour cet hiver si doux, pour la neige si blanche et le ciel si bleu.
– Merci la vie de pouvoir reconnaître tout ce qui est bon pour moi.
– Merci à l’ex-mari qui a été juste assez ignoble pour qu’enfin je me décide à le quitter.
– Merci à tous mes précieux lecteurs qui me suivent chaque semaine par le biais de mes lettres du dimanche.
– Merci pour tous les commentaires que vous m’écrivez semaine après semaine.
– Merci à ceux qui ont acheté mon livre, Cora l’ordinaire endimanché, et qui viennent m’en parler!
– Merci à la mer qui m’a nourrie toute ma vie et qui continue à le faire.
– Merci aux magnifiques hommes qui viennent embellir mes rêves et nourrir mes espoirs.
– Merci à mes dix doigts qui, même s’ils sont usés, continuent à me donner le plaisir de faire à manger pour mes enfants, mes petits-enfants et quelquefois même pour mes collègues de travail au siège social de l’entreprise.
Depuis que je m’exerce à cette énumération de mercis à l’univers, j’ai toujours hâte à demain pour découvrir ce que j’apprends à mieux apprécier.
VERBA VOLANT, SCRIPTA MANENT.
Les paroles s’envolent et les écrits restent.
Cora
❤