Pleurer jusqu’à dire MERCI
(Lettre écrite le 25 décembre au matin)
Ouf! Comme Noël m’est pénible ce matin. Tristounette et esseulée dans ma grande cuisine aussi silencieuse qu’un monastère de nonnes cloîtrées. Je devrais pourtant être heureuse que tout soit arrivé comme je l’avais planifié. Heureuse d’avoir encore cette année cuisiné toute la nourriture des Fêtes que mes enfants préfèrent, heureuse de l’avoir joliment emballée. Ils ont tous été contents de mon initiative et les grands petits-fils ont même offert de venir eux-mêmes chercher les précieux colis à livrer.
Tout fut parfait, comme on dit souvent. Je n’ai pas eu à vaincre la triste pluie, à peut-être manquer une sortie d’autoroute ou à glisser dans une entrée de maison. Ils ont tous bien mangé, m’ont-ils dit par ZOOM. Tout devrait donc être parfait ce matin.
La cuisine est spic and span. Un pot de café coulé et le vaillant ordinateur à l’attention prêt à recueillir les mots du jour.
Je vous l’avoue humblement, c’est mon cœur qui tire de la patte ce matin. Et j’ai la larme à l’œil. Comme si, dans ma tête, un diable s’amusait à me faire croire que tout n’est pas aussi rose que dans les jolies petites lettres que j’aime vous envoyer.
Ce matin, j’hésite devant la page blanche.
Qui suis-je donc, vieillotte envahie d’une tristesse trop lourde pour la lancer par la fenêtre?
J’ai pourtant toujours été brave et vaillante; capable d’ignorer la douleur, les peines et les multiples contrariétés. C’est comme ça qu’on se bâtit un avenir, pensais-je chaque fois que j’avais à m’endurcir. Je pleurais deux secondes et puis j’avançais envers et contre tout.
Et me voici ce matin déconfite; une meringue qui s’effondre.
Ayant juste envie de brailler comme une Madeleine. De crier tout haut ma totale fatigue d’être bien au chaud dans ma chaleureuse maison. Prisonnière de tout ce que j’aime le plus : des livres, des divans, des dessins, des DVD, des dix à douze sortes d’assiettes, de bols et de tasses bien rangées dans ma cuisine de rêve. Et même l’immense table sur laquelle s’étire toute ma paperasse d’écriture, même elle ne me réjouit plus autant. Même avec en son centre un long vase dans lequel trempent deux immenses branches de sapin odorantes.
Que m’arrive-t-il donc? Ma crème d’espoir serait-elle en train de coller au fond de la casserole?
Tout est effectivement parfait.
C’est juste que j’ai la nostalgie d’avant. J’ai tellement envie d’ouvrir mes ailes, de prendre l’avion, d’aller visiter nos restaurants, nos franchisés, nos bienheureux clients, nos employés dispersés à travers notre grand pays. J’ai le goût de souper avec mes petits-enfants, de jaser avec eux à n’en plus finir. J’ai envie de bouquiner, d’arpenter la ville, de prendre un café avec des amis, de découvrir une nouvelle pizzeria, une nouvelle paire de lunettes rondes, une nouvelle pièce de théâtre à regarder en personne devant les comédiens.
J’ai tellement hâte de donner le GO à ma tête pour rêver. J’ai hâte de refaire pour la énième fois le tour de ma Gaspésie natale. J’ai surtout hâte de remplir ma cuisine de vrai monde, hâte qu’arrivent les enfants avec leurs enfants, leurs amis et tous les habitués de la maison.
Soudainement, c’est comme si j’entendais les automobiles mordre la neige et grimper jusqu’à la maison. Comme si j’entendais Nini et Pénélope ouvrir la porte et m’appeler du salon.
L’espoir me régénère, et au lieu de brailler, je devrais dire MERCI.
– MERCI à ce confinement de m’avoir évité le pire des pires!
– MERCI à lui de m’avoir aidé à faire mon deuil du travail au bureau et à prendre ma place de fondatrice et mère du président de l’entreprise.
– MERCI à cette solitude obligatoire qui, veut veut pas, amollit ma carapace, ouvre mon cœur et avive mes émotions. Je constate que je n’ai plus de bouclier et c’est tant mieux.
– MERCI au confinement qui m’a appris à être davantage à l’écoute de mon corps, de mon cœur et de ma bourdonnante tête. J’apprends ainsi à réagir à la douleur occasionnée par la fatigue. J’apprends à me reposer, à prendre soin de moi et à être plus attentive aux petits bobos sur la charpente. Je fais des petites crises ici et là, mais j’ai amplement le temps d’apprendre à calmer ma tête en essayant de méditer, en lisant des textes inspirants et en écoutant de la belle musique.
– MERCI de toute cette abondance de temps paisible que ce confinement me procure, sans travail, sans déplacement d’affaires, sans sorties inutiles, sans consommation à outrance, sans vaines distractions et sans futiles placotages. Étant moins étourdie par le bruit du monde, j’apprends mieux à discerner le bon du moins bon.
– MERCI au confinement de m’avoir fait apprécier encore davantage la nourriture de chaque jour. Comme c’est mon métier, j’ai eu amplement le temps de réfléchir à ma diète quotidienne et à de meilleures façons de bien m’alimenter. J’ai aussi eu beaucoup de plaisir à revisiter mes nombreux livres de cuisine et à essayer plusieurs recettes qui me font encore saliver. Et je n’ai pas pris une seule livre depuis le début du mois de mars dernier.
– MERCI à cette éprouvante pandémie qui nous apprend, veut veut pas, que l’essentiel dans notre vie est absolument incertain; que nous devons nous familiariser avec l’imprévu, et avec l’inconnu.
– MERCI au confinement qui est à la source de cette correspondance. Avec une intention grosse comme le ciel de demeurer proche de nos clients, nous avons pensé vous écrire une lettre hebdomadaire pour que nos cœurs puissent garder contact; pour partager avec vous nos recettes et pour vous raconter plusieurs des histoires fondatrices de notre parcours. Et qui d’autres qu’une fondatrice en personne pour tenir la plume?
– ET FINALEMENT UN IMMENSE MERCI à vous, chers lecteurs, qui m’accompagnez tout au long de ces écrits. Vos précieux commentaires me font chaud au cœur et m’encouragent à continuer. Grâce à vous, un à un, les souvenirs émergent du passé et j’essaie de les faire revivre sur la page. Ces heureuses réminiscences me font beaucoup de bien.
Chaque lettre me donne l’impression d’être encore la même qu’à mes débuts, disponible et heureuse de faire plaisir à mes clients.
❤️
Cora