Nous fêtons nos 35 ans
16 h 14, mercredi, au complexe hôtelier Estérel
Croyez-le ou non, cette année nous fêtons nos 35 années d’existence, le premier petit resto ayant ouvert le 27 mai 1987, le jour exact de mon 40e anniversaire de naissance. Je n’étais pas une jeune poulette rêvant de conquérir l’univers, mais une maman de trois jeunes ados capables de m’aider à gagner notre croûte. Vous connaissez cette histoire, j’en suis certaine. Ce que j’aime pourtant, c’est de dire aux femmes que l’âge n’a aucune importance. Bien au contraire! Un kilo de maturité brassé avec deux kilos de difficultés, poivré de courage et salé de créativité, fait des miracles lorsque quelques enfants ont besoin d’être nourris.
J’ose ajouter qu’à l’œuvre, le corps de la femme est généralement plus solide que la coque d’un navire qui traverse les océans. La force, la patience et l’endurance d’une mère font des miracles. J’en ai été la preuve vivante à plusieurs occasions. Maintenant que je suis devenue une petite vieille assagie, j’ai le temps de reconnaître et d’apprécier toutes les belles qualités des femmes.
J’ai commencé cette lettre devant un magnifique feu de foyer, installée comme une reine dans un grand salon du complexe hôtelier Estérel situé dans les Laurentides. Oui, oui! Pour célébrer notre trente-cinquième anniversaire, nous avons invité tous nos employés de partout au Canada, quelque cinquante-deux valeureuses personnes, à passer deux jours avec nous au siège social de l’Entreprise. Puis, pour clôturer les réjouissances, nous nous sommes dirigés vers les montagnes laurentiennes pour y partager un délicieux souper, lequel a été suivi d’un feu de camp animé de chansons et de guimauves. Parions que chacun a fait un dodo de rêve dans une des très belles chambres de l’Estérel.
8 h 15 le lendemain matin
Le temps est un peu frisquet, mais nos cœurs bouillonnent d’amour les uns pour les autres. Matinale, je suis déjà installée dans l’immense salle à manger avec vue sur le lac, à une table près de la machine à café. Les uns après les autres, les gens arrivent, me saluent, zieutent l’immense buffet brunch et choisissent en priorité les tables près du lac. La nourriture est très attirante et le comptoir de fruits joliment coupés se révèle à la hauteur de nos attentes. Nous sommes enchantés.
Tous les employés de l’Entreprise sont heureux de s’être rencontrés. Un bourdonnement de rires anime le repas. C’est la première fois qu’ils sont tous ensemble et qu’ils peuvent créer des liens nonobstant l’éloignement des provinces canadiennes. Nous sommes tous ravis de la réussite de l’événement. La rencontre s’achève par un rassemblement devant l’immense foyer pour le mot de la fin. Le jeune président remercie chaleureusement Nancy, la directrice des ressources humaines, pour l’organisation de l’événement, ainsi que tous les participants d’y avoir assisté. Alors que nous nous acheminons vers nos bagnoles, un immense soleil nous accompagne. Le voyage de retour est parsemé de jolis lacs à nous donner envie de revenir dans ce coin de pays.
16 h 20, assise à ma table de cuisine
C’est toujours un immense plaisir pour moi de rencontrer nos valeureux collègues dispersés à travers notre grand pays. Surtout maintenant que je ne voyage plus autant qu’avant. J’avoue qu’en conduisant vers la maison, j’avais un tantinet l’œil humide en pensant que je ne suis plus ni à la barre du navire, ni complice de toutes les décisions opérationnelles. Pour tout dire, quelques fois, je m’ennuie de l’époque du travail acharné, du temps où j’étais au centre de l’action. Ne faut-il pas mourir à quelque chose pour renaître ailleurs? Je me dois d’être entièrement heureuse de la tournure des événements. Mais, comme tout le monde, quelquefois je voudrais revenir à mes quarante ans.
Je suppose que la morale de ce paragraphe c’est qu’il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Sur ma route vers l’ultime demeure, je devrais plutôt disperser des remerciements au lieu de penser à certains regrets. Tout est parfait. J’ai reçu plusieurs talents et je les ai exploités. Et le temps a passé. Pourtant, j’avance encore avec une immense reconnaissance d’être toujours vivante.
Je sais au fond de mon cœur que j’ai encore un dernier objectif, une ultime saison. Je suis comme le pommier qui n’a de repos que lorsque tous ses fruits se détachent de l’arbre, ces pommes porteuses de joie et de bons conseils. J’essaie de lancer en terre jusqu’au dernier pépin gage d’avenir. En insistant pour écrire, je secoue ma tête encore bourrée de mots. Je veux mourir usée jusqu’à la corde, vide et légère comme une plume toute prête à s’envoler. À mon rythme et à ma manière, je persévère. J’apprécie chaque minute du trajet, chaque ligne, chaque mot créateur d’espoir.
Aussi longtemps que vous voudrez me lire, chères lectrices et chers lecteurs, je serai là pour vous servir mes déjeuners de mots. Je suis encore affamée d’apprendre, vaillante, curieuse et susceptible de m’émerveiller devant une toute petite fourmi tisserande capable de transporter cent fois son propre poids. Comme elle, j’essaierai moi aussi de vous apporter des tonnes de joie, un peu de réconfort et de partager avec vous mes réflexions saugrenues concernant mon instable compréhension des mystères de la vie.
Sachez que tout m’intéresse encore, tout m’émerveille, tout m’interpelle. Chacune de mes phrases pourrait être une question. Elles le sont bien souvent. Ligne après ligne, je suis devenue une observatrice du vivant, une femme aguerrie cherchant à comprendre les multiples circonvolutions du cœur humain. Sachez aussi que je vous aime énormément.
Cora
❤