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21 janvier 2024

Nous étions treize à table

Quelques jours après mon retour du fameux Salon du livre de Montréal, je ne pouvais vider ma tête de tous ces lecteurs intentionnés qui ont pris la peine d’arrêter à ma table pour un brin de jasette, de multiples compliments et une dédicace personnalisée à chacun.

Pour un moment, je me croyais dans un de mes premiers restos à accueillir chaque client avec mon sourire fendu jusqu’aux oreilles. Oui, oui! J’ai d’ailleurs été enchantée de rencontrer de nombreux lecteurs des lettres du dimanche qui en voulaient encore plus en se procurant le vrai livre à dévorer.

Pourtant, j’avoue que mes cinq jours d’affilés au Salon du livre m’ont paru presque aussi ardus que chaque dimanche de jadis alors que je devais retourner des centaines de crêpes aux fruits sur la plaque chauffante. Aujourd’hui, ces mêmes dix doigts cuisinent de jolis paragraphes pour vous ravir.

Au Salon du livre, j’ai croisé Janette Bertrand pour qui j’ai une totale admiration pour ses 98 ans. Sa lucidité, sa très grande pertinence et sa vitalité sont exceptionnelles. Je suis certaine qu’elle va dépasser la doyenne du pays, Cecile Edith Klein, décédée à 114 ans, en 2022. Il semblerait que le secret de la longévité de dame Klein c’est qu’elle est toujours restée très positive. Alors, c’est noté, évitons la morosité et la tristesse si nous voulons devenir centenaires!

Reposée et remise de mes émotions, j’ai vite pensé à reprendre l’écriture. Mais avant toute chose, j’ai tenu à remercier mes amis proches du café qui n’ont cessé de m’encourager sincèrement pendant l’écriture de mon livre. Oui, oui! À force d’être à la même table chaque matin, dans une boulangerie de village, je me suis fait des amis. Des hommes, des femmes et des habitués m’inspiraient par de beaux bonjours, une courte jasette ou un sourire, et me racontaient même quelquefois, une histoire entre deux cafés. Plusieurs sont devenus des complices ayant à cœur de m’aider tout en évitant de me distraire.

C’est donc pour cela que je les ai invités à ma grande table pour un souper amical quelques jours avant Noël. Nous avons vaincu la superstition du chiffre 13. Nous étions treize à table comme lors du repas de la dernière scène. Mon grand ami Neil et son épouse Adèle, Marie-Pierre l’hôtesse de l’air, Claude le pilote de brousse, George le vieux Sicilien et son épouse Carole, Steven le policier à la retraite, Éric l’ami cuisinier, Denis l’ado de 70 ans, Sylvain qui vient de perdre son épouse, le plus vieux de mes fils, sa compagne et moi-même. Tous ces vieux sages de mon âge (et même mon garçon et sa copine) ont beaucoup apprécié mon invitation. Ils ont tous apporté leur grand cœur et quelque chose dans leurs mains. Le sucre à la crème de Sylvain, le délicieux gâteau d’Adèle, les chocolats de George, les îles flottantes de l’hôtesse de l’air, les tartes au sucre de l’ami cuisinier et plusieurs bouteilles de vin. J’avais déjà mentionné au pilote de brousse, ancien professeur d’électricité, qu’une pièce de la maison manquait de chauffage. Il est arrivé avec un nouveau thermostat au lieu d’une bouteille de vin, et l’a aussitôt installé.

Comme c’était la première fois que nous nous rassemblions à la même table, j’ai préparé des questions « brise-glace » pour le café et le dessert, afin d’apprendre à nous connaître davantage et de solidifier notre amitié. Pour sûr, nous avons ri comme des ados à entendre les réponses et, surtout, à découvrir des anecdotes sur chaque invité.

Toute ma vie de cuisinière et plus tard celle de femme d’affaires se sont passées sans grande amitié. Toujours, toujours, je devais être aux aguets, prête à régler un problème, inventer un nouveau menu, inaugurer un restaurant, conquérir une province, réussir à dépasser mes objectifs, année après année. Je n’avais en ce temps-là ni le temps d’exister, ni l’audace de me jeter dans le monde, ni l’opportunité de me faire des amis. Aimer à cette époque était le possible le plus lointain.

Et pourtant, voici que sur le tard m’arrive l’immense cadeau de l’amitié, ce sentiment réciproque d’affection et de sympathie qui ne se fonde ni sur la parenté ni sur l’attrait sexuel. Il n’est jamais trop tard pour apprendre que les relations d’amitié sont source de bonheur, d’épanouissement et de partage. Je réalise aujourd’hui que les vrais amis sont comme des anges. Nous n’avons pas besoin de les voir pour sentir leur présence. Ils sont toujours là, dans nos têtes.

Cora

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