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Cora Déjeuners et dîners
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21 avril 2024

Notre brunch de Pâques

Comme nous sommes tous des restaurateurs et d’excellents cuisiniers dans la famille, notre brunch de Pâques fut, sans vantardise, une table d’exception! Oui, oui! Ce fut d’abord ma petite fille qui disposa sur la grande table trois magnifiques plateaux de fruits joliment coupés et garnis de fraises, de framboises, de cerises et de bleuets. Vite, vite, tous les jeunes enfants grimpèrent sur leur chaise et étirèrent leurs bras vers les plateaux colorés. Quelques minutes plus tard, ils avaient les joues bleu-rose et leurs petits tabliers tachetés de jus de framboise.

J’avais moi-même préparé le mélange à pain doré et l’appareil à crêpes, mais dès que ma fille entra dans la cuisine, c’est elle qui prit le commandement des opérations. Il lui restait à assembler les différentes composantes de chaque service. Avec sa fille à ses côtés, elles firent d’abord cuire une vingtaine de crêpes composées de différentes garnitures : épinards-feta, jambon et fromage suisse, bacon-cheddar et les délicieuses crêpes aux pommes badigeonnées de notre caramel maison qu’elles gardèrent au chaud sur le réchaud du poêle.

Ma fille et sa fille s’occupèrent ensuite de faire rôtir toutes les viandes du traditionnel déjeuner québécois et les mirent sur la table avec une grosse soupière de fèves aux lard, une belle grande assiette de saumon fumé garnie de câpres et d’oignons rouges, un gros bol de patates rôties, mes fameux cretons ainsi qu’un bel assortiment de confitures maison : fraises, framboises, bleuets, oranges et marmelade d’agrumes. J’ai depuis longtemps la main habile pour les confitures. Je ne mesure jamais rien et c’est mon doigt du milieu, le majeur, qui me dit quand il faut éteindre le feu. Je réussis à tout coup!

Lorsqu’arriva l’heure de griller les différents pains, toasts, bagels, et délicieux croissants, les deux garçons de mon plus vieux étaient au poste. Ils dressèrent des carrés de beurre dans de petites assiettes et les disposèrent devant chaque couvert. Puis, la quinzaine d’adultes s’installa à la table et le festin débuta. Ayant bu plusieurs cafés en jasant, ils se ruèrent sur le jus d’orange. Ciel! Je me souviens encore de ce fameux jus d’orange que j’interdisais aux employés et à mes enfants de boire lorsqu’ils travaillaient. À l’époque, ce jus importé directement de la Floride était dispendieux et précieux. Personne n’en buvait sauf les clients qui payaient.

J’étais pauvre comme Job lorsque, en 1987, j’ai ouvert notre premier petit resto. C’était un vieux casse-croûte déglingué, fermé depuis deux ans, et rempli de toiles d’araignées. Je m’en souviens comme si c’était hier : 29 places assises que j’avais pu acheter en vendant notre maison de banlieue. Je ne pourrai jamais comprendre pourquoi, mes jeunes enfants et moi, nous sommes tout de suite tombés en amour avec cet endroit.

Peut-être était-ce pour eux une nouvelle aventure? Peut-être était-ce pour moi l’opportunité d’une brillante destinée? Il fallut frotter, nettoyer, peinturer, coudre quelques jolis tabliers et écrire notre menu sur les murs. Jamais, à cette époque, je n’aurais pu imaginer qu’un exceptionnel concept de restauration matinal allait sortir de mes méninges. Déménagés dans un troisième étage d’une rue commerciale de Montréal, à proximité du bouiboui, les enfants se sont habitués aux bruits de la ville, aux transports en autobus et aux nuits blanches que maman passait à inventer de nouveaux déjeuners.

Aux fourneaux, ma fille et sa fille sont prêtes à prendre les commandes d’omelettes. Elles ont sur le comptoir à côté d’elles une quinzaine de petits bols contenant les différentes garnitures à omelettes. Et vlan, le service se fait rondement! À les entendre, on croirait que tous les adultes n’ont rien mangé depuis trois jours! Assise au bout de la table, mes yeux espionnent le faciès de chacun. Ils ont faim, ils ont soif, ils mangent avec appétit.

Mon fils le plus vieux félicite les cuisinières et les remercie chaleureusement. Avant même d’avoir reçu son assiette principale, il se propose pour faire la vaisselle et sa compagne le seconde. Cette très chère Josée est aussi une bonne cuisinière, elle excelle notamment à cuire les viandes, et son homme, gros mangeur, est comblé.

Tous les convives sont contents. Les petits ayant mangé plus tôt, ils courent dans la grande maison, jouent à la cachette et s’amusent avec les bricoles que leur grand-père (mon plus vieux) leur amène à chaque visite. Tous les adultes se resservent du café en jasant comment s’ils ne s’étaient pas vus depuis dix ans. Puis Josée quitte la table et m’exhorte à rester assise.
- « Vous en avez assez fait, belle-maman! Je m’occupe de la vaisselle. »

Lorsque finalement les conversations tiédissent, les enfants de mes enfants se lèvent et dévalisent les restants, comme chaque fois qu’ils viennent chez grand-maman! C’est encore ma fille et sa fille qui s’occupent d’emballer les viennoiseries, les crêpes, les viandes, les fèves au lard, les fromages et tout ce qui reste sur la table. C’est à qui prendra ce qu’il aime le plus! Lorsque la table est vide, le poêle et les comptoirs nettoyés, les jeunes aident à la vaisselle. Vite, vite, la cuisine brille et les adultes déménagent au salon. Il est temps de digérer, de parloter, et de me redire encore combien c’était bon. Je n’ai presque aucun mérite, j’ai juste à les rassembler. À Noël, à Pâques et à la fête d’un arrière-petit-fils.

Combien de brunches de Pâques pourrai-je encore animer? Le temps passe tellement vite! Trois courtes années et j’aurai 80 ans sonnés. Peut-être aurai-je aussi les doigts croches, les rotules fêlées et la mémoire en cavale? J’oublierai ma superbe recette de cretons, l’âge de mes arrière-petits-fils et peut-être l’adresse de ma belle-fille? D’ici là, j’ai encore toute ma tête et j’entends bien profiter de chaque occasion pour nous réunir et célébrer!

Cora

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