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2 octobre 2023

Naître sur terre

Hier soir, je peinais à m’endormir et j’essayais d’imaginer ce que c’était que de venir au monde. Après le fait accompli, personne ne se souvient de sa naissance, d’où l’on vient et comment ça se passe véritablement.

J’allais naître le 27 mai 1947, vers 15 heures selon maman. Avant que ne s’ouvre un couloir de lumière par lequel j’allais sortir de ma caverne, je nageais dans une eau tiède et bienveillante. Une cavité, un ventre, j’appris le mot plus tard. Un ventre maternel prenait soin de moi. J’apprendrai aussi que quelqu’un avait mis une petite semence dont j’ignorais la forme dans ce ventre qu’une femme transportait.

Le temps s’écoulait comme l’eau d’un ruisseau descendant vers la mer, et la petite semence grossissait. D’elle sortaient d’étranges excroissances dont on me dira plus tard les noms : bras, jambes, oreilles, orteils et petit nez qu’un petit doigt apprit à toucher. J’étais une toute petite chose qui, d’elle-même, grossissait. Une jambe, un bras s’étiraient et touchaient le pourtour de mon refuge. Je sentais une certaine résistance. Plus le temps passait et plus l’amoncellement de chairs vivantes grossissait.

Au milieu du mois de mai de cette année-là, j’entendis une voix rauque disant à celle qui allait être ma mère que l’enfant se portait très bien. À travers la cloison protectrice qui m’emprisonnait, j’avais senti la chaleur d’une grosse joue qui avait dit le mot « enfant ». La petite semence était-elle devenue cet enfant?

Lorsqu’enfin ma tête sortit de l’étrange refuge où j’étais, deux mains rosies de sang me plongèrent dans une bassine d’eau claire. On siphonna mon nez, on nettoya mes oreilles, et mes yeux s’entrouvrirent d’eux-mêmes. Où étais-je donc? On m’enroula dans un tissu laineux et on me déposa sur le corps inanimé de la femme appelée maman. On mit ma joue dans le creux de son cou comme pour me faire entendre ce que sa tête savait.

L’eau coula sous les ponts jusqu’au jour où je découvre un garçonnet marchant debout. À quatre pattes, je le poursuis et j’empoigne son jouet. Il a les fesses à l’air et entre ses deux cuisses, un petit doigt. Je tire sur ses boucles dorées jusqu’à ce qu’il pleure et que l’homme qu’on appelle papa me soulève de terre.

Le premier pas de l’homme sur la lune fut certainement moins brutal que de naître sur terre.

Petite semence, nous flottions innocemment sur l’eau et c’est la terre qui demain mangera nos os. Entretemps, l’enfant grandissant s’exerce à vivre. Il interroge ses parents, ses grands-parents, et éventuellement des professeurs qui bourreront son crâne de différents raisonnements.

Qu’est-ce que je suis venue faire sur terre et où sont toutes ces actions passées et ses vies antérieures qui supposément guideraient mon présent? Suis-je réellement responsable de mes actes? Serais-je juste la propriétaire d’une histoire inventée? D’un moule à gâteau sans réel gâteau?

Vous et moi, qui sommes-nous, chers lecteurs? Huit milliards de petits clones intelligents et tous différents! La vie serait tellement triste si toutes les fleurs se ressemblaient, si elles avaient toutes la même couleur et le même parfum. Pourtant, je me regarde dans la glace et je me crois unique. Squelette branlant, barniques vieux rose et foulard bleu-mauve.

Petite semence vient de très loin, de l’arrière-monde de ce monde que les sots croient avoir eux-mêmes inventé. Il y a pourtant ce premier souffle qui jamais ne s’essouffle, ce verbe semeur, cette main créatrice de milliards de matrices donnant naissance à l’univers entier.

Écrire est cette douce façon de me garder en vie et je vais juste faire cela. Me nourrir de bons mots, boire des phrases réconfortantes et, par très grand vent, peut-être pondre un roman?

Cora

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