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15 juillet 2022

Mon voyage en Gaspésie : Vers Sainte-Flavie, deuxième lettre de voyage

Je n’exagère en rien, mon voyage est exceptionnel. Adieu Paris, Londres et Istanbul. J’y suis allée, j’ai adoré et pourtant, ce présent retour aux sources est incomparable pour moi. Ayant quitté vers midi l’auberge de NOTRE-DAME-DU-PORTAGE, je me suis mise à chercher le loup de RIVIÈRE-DU-LOUP. Le pauvre se cache certainement quelque part dans les 138,4 km carrés de territoire qui lui sont alloués. J’ai vu l’Hôtel Universel, l’Hôtel Lévesque, le Comfort Inn et l’Auberge de la Pointe, mais aucun loup, nulle part. Cherchant au-delà des clôtures à pâturages, j’ai appris que le nom de la ville pourrait venir de la présence de phoques, aussi appelés loups de mer, qui auraient autrefois été nombreux à l’embouchure de la rivière. Il paraîtrait même que c’est Jacques Cartier en personne qui, lors d’une expédition exploratoire, aurait baptisé la bourgade d’alors parce qu’il avait vu de visu beaucoup de loups marins sur la grève de la rivière. On peut donc conclure qu’un loup n’est pas toujours un loup et que chercher l’animal mâle de mes rêves est une aventure plutôt aléatoire.

Heureusement que la belle CACOUNA d’à côté a su me consoler. Avec ses maisons magnifiques zieutant le fleuve en permanence, son resto Pub d’Antan, son immense meunerie, ses boutiques d’antiquaires et des centaines de lilas qui parfument la bourgade, CACOUNA est un trésor bien caché. Je l’ai traversée aussi tranquillement que lorsque je lèche un cornet de crème glacée molle. Surtout qu’un soleil éblouissant essayait de me convaincre d’y dormir une nuit. Pour être belle et unique aux yeux des autres, il faut d’abord l’être pour soi-même. Avoir le courage de montrer notre unicité, nos couleurs, nos couronnes de fleurs sur la tête et nos fringues excentriques. Oser n’est pas un jeu, mais une déclaration de courage. Mon courage et celui de CACOUNA la magnifique.

Toujours sur la 132 est, la Mini Cooper crachote. Elle a de quoi tourner en bourrique avec le fouillis de dépliants qui l’habite. Cartes par-ci, fascicules par-là, carnet de notes, livres entrouverts, factures en désordre, l’habitacle ressemble à un kiosque touristique ayant subi une attaque nucléaire.

RIMOUSKI, annonce un panneau vert. Au loin, l’ÎLE VERTE pique du nez dans le fleuve. Des cyclistes pédalent vers demain. Deux femmes en décapotable me saluent et me dépassent. Tout au long du parcours, le fantôme de l’autoroute 20 me menace. À chaque éclaircie, je le vois me tendre la main. Ça arrive toujours depuis que les carrioles n’existent plus. La facilité nous tire la jupe. La rapidité est reine!

12 h 26 : Pendant un long moment, je traverse des terres arables plus vertes que l’espoir. Je résiste à la tentation du traversier pour aller serrer la pince à l’ÎLE VERTE. NOTRE-DAME-DES-SEPT-DOULEURS me console. La pauvre paroisse relate l’histoire de la Vierge suivant pas à pas son fils vers le Golgotha. Seigneur que c’est triste. Savait-elle qu’Il allait ressusciter d’entre les morts?

13 h 32 : Sur la pancarte verte, TROIS-PISTOLES allonge le nez. Pourquoi « Trois »? Et non quatre ou huit? Avons-nous affaire à un ancien règlement de compte entre curés? Peut-être devrais-je demander au fameux Victor-Lévy Beaulieu? Il est encore vivant et très prolifique. Peut-être m’encouragera-t-il à continuer d’écrire? À ma gauche, la Fromagerie des Basques semble être le point d’attraction de TROIS-PISTOLES. Je m’y arrête. Je réfléchis. J’ai oublié ma glacière! Tête de linotte que je suis. Moi qui voulais rapporter un vrai homard à ma petite-fille. Pas de fromage non plus.

Environ 14 h. Devrais-je prendre le traversier vers LES ESCOUMINS? Quoi, quoi? Secouer mes mains, bardasser mes doigts? Tiens donc, un musée à l’horizon, un ramassis de vieilles bagnoles du temps de Maurice Duplessis. De l’autre côté de la route, l’atelier de Marcel Plourde, ébéniste. Et juste à côté, un petit commerce de Ballons en Folie. J’arrête ma Mini, descends la vitre du conducteur et demande à une petite vieille pourquoi la place s’appelle TROIS-PISTOLES. Croyez-le ou non, elle ne le sait pas. Elle me dit qu’elle est désolée; presque prête à pleurer.

Je reprends la route. J’adore mon pays, ses terres et ses mers, son ciel bienveillant et ses gens chaleureux. Je suis heureuse. Diable, que vois-je? Un corbillard accoudé à la clôture d’un cimetière et tout plein de belles bagnoles stationnées aux alentours. Qui est mort? Monsieur le maire? Un gros bonnet? Un bien nanti, comme dirait Victor-Lévy? À qui appartient la rutilante Jaguar rouge? Je voudrais bien le savoir. Ô miracle, en avançant, une petite librairie emplit mon parebrise. J’immobilise la Mini, ouvre ma fenêtre, enlève mes verres fumés et aperçois un gros FERMÉ AUJOURD’HUI. Fermé pourquoi? En deuil du mort dont j’ignore le nom?

Je réalise qu’en sillonnant ma belle GASPÉSIE, j’accumule beaucoup de POURQUOI. Pourquoi au juste? Mon pied droit léger sur la pédale à gaz, je continue ma route. Ainsi va la vie, à TROIS-PISTOLES ou ailleurs, je m’accommode de ce que je maîtrise. Et je ne souffre pas du syndrome FOMO (de l’anglais « fear of missing out »), qui veut dire la peur de rater quelque chose. Je ne suis pas le nombril du monde, mais peut-être un tout petit grain de beauté sur la joue de mon patelin. Je vis, les deux pieds sur terre, dans un monde connecté. J’en perds des bouts assez souvent, mais RADIO-CANADA et LE DEVOIR du samedi m’apprennent le plus important à savoir.

Et voilà qu’une magnifique grosse église s’impose à moi. Un chef-d’œuvre en véritables grosses pierres des champs. J’ai une belle pensée pour les anciens bâtisseurs de cathédrales. Je stationne et marche autour de l’église. Juste derrière, un petit édifice moderne annonce : MALLETTE Société de comptables professionnels agréés. C’est quand même édifiant de voir à quel point TROIS-PISTOLES en mène large. Juste à côté de chez Mallette, la Cantine d’Amour. Mes neurones s’entrechoquent. J’ai le goût de rester à TROIS-PISTOLES. Du moins, jusqu’à ce que je découvre pourquoi « Trois » Pistoles et non quatre ou huit. Devrais-je cogner à la porte de chez Mallette? Devrais-je quitter ces lieux énigmatiques?

« On the road again », me répondrait le célèbre Jack Kerouac. Personne ne m’attend et c’est bien tant mieux. Moi-même, je ne sais pas où je dormirai ce soir. C’est un peu ça, la liberté. Ne pensez-vous pas? Serait-ce le propre de la vieillesse? Ne rien promettre et raconter après-coup ce qui s’est véritablement produit? La vérité toute crue?

Je reprends la route et plonge dans l’émerveillement. Approchant le BIC, tout est beau, tout est vert et la luxuriance des arbres est incomparable. Est-ce à cause de l’eau, à cause de la température, d’un microclimat ou de l’amour des résidents? Au BIC, même les jolis bouleaux travaillent à s’embellir. À ma gauche, on annonce un traversier pour la CÔTE-NORD. À voir peut-être du bateau : un BIC, une baleine et son bébé.

Avez-vous déjà remarqué que ce sont les bouleaux qui protègent nos routes de campagnes? Ils sont minces, flexibles et vaillants. Et ils sont polis, avenants et discrets. Élégamment vêtus, ce sont eux qui s’étirent, se courbent et se penchent pour aider un petit lapin sauvage ou une maman marmotte. Ce sont encore eux qui aident les conducteurs lorsque tombe la brunante. Eux qui allongent leurs bras blancs et éclairent la route.

J’arrive enfin à SAINTE-FLAVIE où j’ai jadis demeuré quelque trois ans. Je trouve un lit pour la nuit à l’hôtel Gaspésiana et m’empresse ensuite d’aller sentir le doux parfum de la mer. J’y trempe mes pieds deux instants avant de geler. À 19 h, je déguste enfin un homard local dont la chair me chavire. Totalement éblouie, j’ose commander 8 onces de Sauvignon blanc Jackson Triggs Reserve. Tout juste sorti d’une casserole d’eau bouillante, l’animal me tend ses deux pinces; comme si terre et mer allaient se réconcilier pour la première fois au monde. « La vie est dangereuse, chère amie. Il faut fracasser la carcasse pour goûter à la chair », m’aurait certainement dit le grand Bocuse s’il avait été assis à ma table. Ce grand cuisinier, dont j’ai lu la nourrissante biographie, fut un homme passionné, bourré d’entrain et de savoir-faire. Il est mort dans son sommeil le 20 janvier 2018.

Ouranos! Premier fils de la terre et maître du ciel étoilé, entends-moi : c’est ce genre de départ que je souhaite avoir. Partir en rêvant du prochain déjeuner à inventer. Partir sans regret, avec la main d’un ange me guidant vers là-haut. Si haut; là où aucune contrariété ne pourra germer dans ma caboche.

Je vole, je m’envole. Qui serai-je demain? Une reine décoiffée par la houle? Une sirène s’approchant de l’ÎLE BONAVENTURE?

À suivre dimanche prochain!

Cora

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