Mon voyage en Gaspésie : première lettre de voyage
Être en vacances, ça veut dire ne pas se brusquer. Alors je me calme. Je range mon bureau, j’empile trois calepins de notes, j’aiguise mes crayons à la mine et je m’assure d’avoir suffisamment de lingettes pour nettoyer mon écran de iPad et mes lunettes.
J’ai la folie des livres, vous le savez. Je perds donc une grosse heure à en choisir une dizaine des plus importants à lire immédiatement. Puis j’empile quelques fringues colorées, mon vieux chandail de marin, un imperméable à toute épreuve, mes vitamines et un pot de café instantané décaféiné.
Je prends la route vers 11 h accompagnée d’un magnifique soleil. Mon Soleil, dirais-je. Celui qui, depuis trente-cinq ans, réside dans mon cœur. J’ai le ventre vide, mais avec moi un gros sac Ziploc de quartiers de pommes et de carottes nantaises. Et, bien entendu, un thermos de café. À mi-chemin vers QUÉBEC, j’appelle pour qu’on me réserve un premier dodo. Youpi, ça fonctionne. Chaque fois que j’ai fait le tour de la GASPÉSIE, c’était toujours avant les vacances ou en septembre, lorsque les vacanciers sont rentrés à la maison.
L’autoroute 640 devient vite la 40 et après quelque 200 kilomètres, je repère le gîte où je dormirai. Le soleil est encore puissant et je décide d’aller faire le tour de la fameuse ÎLE D'ORLÉANS; un pèlerinage que je fais chaque année, sauf ces trois dernières. L’île est un véritable paradis bucolique où chaque habitation mérite d’être sur une carte postale. Plusieurs petits commerces locaux m’attirent énormément, mais je résiste. La pandémie m’a appris à faire des confitures aussi bonnes que celles des artisans locaux.
À QUÉBEC, je dors du sommeil de la belle au bois dormant. Je rêve aux baleines. J’aimerais tellement en voir une, ne serait-ce qu’un petit bébé. Faudrait peut-être que je traverse sur la CÔTE-NORD? Un paradis pour grosses baleines à ce qui paraît. Je n’ai pas d’itinéraire précis. J’invente mon voyage jour après jour. Comme ce matin, je devais quitter NOTRE-DAME-DU-PORTAGE et sa belle auberge, mais le ciel a décidé de nous asperger. Abondamment, dirais-je. Alors j’écris cette première lettre, installée dans une magnifique verrière transformée en aquarium. L’eau jaillit de partout, du plafond de verre et des murs transparents. Devant moi, le fleuve en colère essaie de grimper jusqu’à ma table. Voudrait-il me confier un secret?
Hier, en traversant le pont de QUÉBEC, j’entamais mon deuxième jour de voyage. J’avais choisi de suivre la 132 pour descendre tranquillement vers la BAIE-DES-CHALEURS, là où je suis née, en 1947. Mais, je vous l’avoue humblement, la femme d’affaires en moi a eu la tentation de préférer l’autoroute 20. ELLE, celle de jadis qui courait tout le temps au lieu d’admirer le paysage. Oui, oui, ELLE m’a fait bifurquer jusqu’à la 20. Après avoir enfilé 15-20 kilomètres à 110 à l’heure, les remords m’ont gargouillé les neurones, la rage me brûlait le nez et mon ♥ criait AU SECOURS! Anxieuse, j’ai cherché la prochaine sortie comme si elle était la vraie porte du paradis. Revenue sur la 132, mon âme s’est assagie. Dieu merci, je ne suis plus celle d’avant; celle qui avait une vie à gagner et qui l’a pourtant bien fait.
Roulant lentement, je me colle sur le fleuve; ma main pourrait presque toucher l’eau. Je savoure le paysage : BERTHIER-SUR-MER, MONTMAGNY, SAINT-JEAN-PORT-JOLI, KAMOURASKA, et NOTRE-DAME-DU-PORTAGE. Je perds le réflexe de regarder ma montre. Quelque temps plus tard, je réalise qu’elle ne fonctionne plus. Deux jours sont passés. Où est donc le chargeur? Je constate que je l’ai oublié à la maison. « C’est certainement un signe », dirait la Providence, un signe pour m’apprendre à décompresser. À BERTHIER-SUR-MER, je suis éblouie. D’un côté à l’autre de la route, les arbres se touchent. Ils se tiennent par la main. Verrai-je le Magicien d’Oz?
Je traverse MONTMAGNY lorsque, soudainement, l’immense bleu du ciel se décompose. Il devient caverneux, inquiétant. Comme si le grand manitou s’apprêtait à brosser la 132; comme si le vent s’était fâché. Et voilà que de vilains nuages me pissent dessus à gros bouillons. Je désespère. À ma droite, un vieillard encore jeune se berce sur une galerie. J’avance à pas de tortue. Le regard de l’homme traverse l’ondée et me sourit. Et telle une plaie d’Égypte, une averse monstrueuse inonde mon habitacle. Comme dirait le célèbre Carlos Fuentes, « Il n’est pire servitude que l’espoir d’être heureux ».
Midi pile. CAP-SAINT-IGNACE balaye les nuages et maître Ouranos se refait une beauté. Mon ventre gargouille. En grignotant des carottes, j’étire la route jusqu’à SAINT-JEAN-PORT-JOLI, la talentueuse. En voyage, lorsqu’arrive le temps de manger, je choisis toujours le resto qui a le plus de bagnoles dans son parking. Et encore aujourd’hui, j’ai drôlement raison. Il s’agit d’une grosse maison, presque en bois rond et bien ficelée avec une grande porte accueillante. À l’intérieur je suis accueillie par un immense comptoir de boulangerie et des frigos transparents remplis de délicieux plats prêts à emporter. À l’arrière, une grande salle à manger allait m’offrir un très remarquable repas de campagne incluant le meilleur pouding chômeur au monde. Tout ça pour une maigre somme de 18,95$ et un très généreux pourboire. Wow! J’ai presque trop mangé, mais comme disait la grande Édith Piaf, « JE NE REGRETTE RIEN ». Va quand même falloir conduire pieds nus pour ne pas risquer de tomber endormie au volant.
J’arrive à KAMOURASKA vers 14 h. Le musée, la grosse église, les boutiques, la plage à proximité de la boulangerie artisanale, tout est digne d’un véritable conte de fées pour citadins. J’adorerais y rester plus longtemps, mais ma Gaspésie me tire la couette. Et je reprends la route des navigateurs à la recherche d’un gîte pour ce soir. Je cherche et je trouve cette magnifique Auberge du Portage. Un ange m’aime certainement, car il ne restait qu’une seule chambre disponible. J’ignorais que cette auberge est aussi un centre de santé et de villégiature très couru.
Wow, pourrais-je me promettre d’y revenir pour une semaine de rêve? J’ai dormi comme un loir dans une jolie chambrette. Et ce matin, très tôt, je commençais cette lettre. L’orage est arrivé et j’ai continué d’écrire jusqu’à ce que le soleil revienne. Il est maintenant 10 h et je reprends la 132, direction SAINTE-FLAVIE, où je trouverai certainement un gîte pour la nuit.
À suivre dimanche prochain!
Cora
❤