Le temps des feuilletés aux épinards
Dans les Laurentides où je demeure depuis trente ans, une soudaine froidure a rougi les pourtours de nos montagnes. Pour l’instant, nous vivons dans une galerie d’art comparable au Louvre de Paris. Je sais pourtant qu’à la fin d’octobre, un peu partout sur nos devantures de maison, des citrouilles massacrées agoniseront en silence, des araignées géantes se tisseront des échelles pour descendre des gouttières, et des serpents mordorés claqueront des dents en s’enfuyant d’en dessous de nos galeries.
Puis la froidure s’installera, le blanc de l’hiver couvrira la terre et incessamment, je penserai aux festins du temps des Fêtes. Je m’y vois déjà. Grand tablier blanc attaché sur une veste immaculée, manches retournées, cheveux cachés, souliers confortables, musique baroque et thermos de café brûlant, je m’installe à l'immense table de la cuisine.
Le moment de cuisiner mes feuilletés aux épinards est enfin arrivé! Je dépose sur la table un immense bol dans lequel je mélangerai tous les ingrédients pour faire la pâte phyllo. Je cuisine cette recette depuis plus de 50 ans et, sans rien mesurer, je sais que la pâte malaxée donnera cinq grandes tôles rondes de 15 pouces de diamètre et d’un pouce et demi de hauteur. Au pif, quelque 20 morceaux de délicieux feuilletés par tôle.
Dans le gros bol, je mets de la farine blanche, du shortening végétal Crisco, des œufs battus, une fine pluie de sel et du Seven Up pour lier le tout en malaxant la pâte à la main. Plus mes précieuses mains s’affairent dans le bol et plus le mélange devient doux et docile. Je la divise en 25 petites boules de la taille d’une orange et, avec le rouleau à pâte, j’étends chacune d’elles en une feuille à la grandeur d’une assiette d’environ 9 pouces. Avec un pinceau, j’étends à profusion du beurre fondu sur chaque feuille et reforme chaque boule, les laissant tranquilles, juste le temps de sortir mon gros chaudron et de pocher rapidement 25 sacs d’épinards du commerce. Puis j’enlève toute l’eau en les essorant méticuleusement. Dans une grande poêle, je les rissole avec un peu de beurre, des échalotes et beaucoup d’aneth. Lorsque le mélange a refroidi, j’ajoute une bonne quantité de feta râpé grossièrement.
J’en suis à mon troisième café lorsqu’arrive le plus laborieux du travail. Il s’agit de reprendre chacune des 25 petites boules bourrées de beurre et de les aplatir une deuxième fois avec le rouleau à pâte jusqu’à ce qu’elles atteignent la dimension des grandes tôles.
Dans chaque tôle bien beurrée, je dépose une première grande feuille ronde que je badigeonne de beurre. Puis une deuxième badigeonnée et sur la troisième feuille, j’étends uniformément un cinquième du mélange d’épinards-feta sur toute la surface. Je recouvre ensuite le tout avec la quatrième feuille badigeonnée et finalement la dernière feuille, celle du dessus, qui devra être outrageusement bien beurrée. Comme c’est une pâte phyllo maison, le vrai beurre est très important.
Avant de mettre les tôles au four, je coupe les morceaux en carrés d’environ deux pouces et les recoupe lorsqu’ils sortent du four pour éviter de les briser. Comme mes tôles sont rondes, plusieurs morceaux sont inégaux.
Je me souviens tellement du temps où mes ados tournaillaient dans la cuisine, attirés par l’odeur enivrante des feuilletés tout juste sortis du four. Sous prétexte de prendre les morceaux biscornus, ils vidaient un tiers de la grande tôle avant qu’elle ait le temps de refroidir.
On peut congeler les tôles de feuilletés non cuits, ou cuits puis refroidis, sans problème. Je m’empresse de les mettre au congélateur si je veux qu’il en reste pour les fêtes de Noël! Bénies soient mes mains vaillantes, car presque tout le monde adore les feuilletés aux épinards!
Cora
❤