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22 septembre 2024

Le rêve du mari, mon cauchemar... Chapitre 3

En Grèce, à cette époque (1972), lorsqu’une femme accouchait, elle devait obligatoirement rester dans la maison pendant 40 jours. Au quarante et unième lever du soleil, elle devait aller présenter son enfant au « pope » (le curé de la paroisse) et ainsi décréter la fin de sa quarantaine. J’avais accouché du troisième enfant à la fin juin et je restais à la maison à prendre soin de la marmaille tandis que le mari devait se trouver un emploi pour faire vivre sa famille.

Le village de Krya Vrysi était si petit que tout le monde se connaissait. Le mari, je suppose, avait oublié ce détail. C’est ainsi que son secret enflamma toute la rue principale comme une traînée de poudre. L’homme voulait voir du monde, aller vivre dans une grande ville où il pourrait devenir commerçant. Qu’allait-il vendre? Dieu seul le savait et le diable s’en doutait.

L’ami Thanassis alla boire quelques cafés sur la rue principale et apprit vite tout ce qu’il y avait à savoir : le mari s’était mis dans la tête de vendre des « flokatis ». Les flokatis sont des tapis à mèches longues (des tapis « shaggy ») fabriqués selon une tradition particulière et assemblés à la main dont le poids minimal est de 1800 grammes par mètre carré. La pure laine vierge de mouton de ces magnifiques tapis, jadis synonymes de douceur, de confort et de chaleur, élevait ces tapis, à une certaine époque, au rang des produits luxueux. Cependant, les flokatis n’étaient déjà plus populaires en Amérique ni même en Grèce tout simplement, je suppose, parce que les chaumières commençaient à être chauffées.

Lorsqu’enfin le mari se décida à me parler de ce nouveau projet, je lui répondis que même sa propre mère et sa sœur n’utilisaient plus de flokatis parce qu’ils étaient trop lourds à secouer, trop difficiles à transporter, et trop dispendieux à remplacer. Selon Thanassis, seuls les démunis et les gitans de l’époque les appréciaient parce qu’ils les recevaient gratuitement des nantis qui n’en voulaient plus. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais ce projet n’irait nulle part, comme beaucoup d’autres de ses aspirations bidon.

Arriva enfin le 19 juillet, l’anniversaire de ma fille portant le même prénom que sa grand-mère grecque : Getsémanie. Ma belle-sœur Despina avait fait en cachette un gâteau aux cerises à peine mûres avec trois petites chandelles roses. La coiffeuse du village m’avait offert de couper un pouce des cheveux de la petite pour qu’ils poussent mieux et plus vite. Même Thanassis avait apporté une petite robe jaune pour la fillette. Le mari allait évidemment manquer la fête parce qu’il était à Thessalonique. J’avais certes remarqué qu’il y allait de plus en plus souvent et cela m’intriguait. Cherchait-il encore une façon de gagner sa vie? Ou s’offrait-il une distraction féminine? Peut-être. L’homme avait toujours un quelconque projet secret; une excuse pour s’absenter régulièrement du village. Pendant ce temps, je m’occupais de l’immense jardin et de remplir de l’eau du puits six ou sept grosses cruches pour nos besoins quotidiens. La plupart des maisons du village n’avaient pas l’eau courante et cela enrageait la belle-mère. Son grand garçon adoré ne pourrait-il point l’installer au lieu de perdre son temps à élaborer des plans?

Heureusement, ma vaillante belle-sœur adorait prendre soin de mes bébés. Chaque matin, elle les débarbouillait, les langeait, les nourrissait et amenait le tout petit à mon sein.

En août, j’avais fièrement présenté mon bébé au « pope » du village. Je devais retourner à l’hôpital de Thessalonique pour un examen de routine à la suite de l’accouchement et qui marquait aussi la fin de ma quarantaine. Thanassis accepta de nous y conduire, l’homme et moi. J’étais en pleine forme, je n’avais pas pris un seul kilo malgré le pain que je savourais chaque jour et la mangeaille grecque qui trempait dans l’huile d’olive. À notre arrivée, un vieux docteur salua le mari, m’ordonna d’enlever mes dessous et de m’étendre sur une étroite table. L’homme ganté palpa mes seins, mon ventre et entra quelques doigts dans mon entrejambe presque guéri. Puis les deux hommes s’exprimèrent dans un dialecte de montagne que je ne comprenais pas.

Juste quelques mots et quelques regards suffirent pour que je comprenne que quelque chose allait de travers. Le docteur s’absenta quelques minutes et revint avec une seringue dans les mains. « Une petite piqûre calmante », dit le vieillard en me souriant. Le temps d’interroger le mari et je tombais dans les vapes. À mon réveil, le vieux docteur avait quitté la pièce. La civière sur laquelle je reposais était tachée de sang. En voyant l’épaisse serviette sanitaire placée entre mes cuisses, j’ai vite compris pourquoi on m’avait endormie contre mon gré. J’avais peur, je pleurais. Le mari, qui s’était empressé de courir à la pharmacie pour se procurer deux comprimés prescrits que j’allais devoir avaler sans les croquer, m’aida à remettre ma culotte, ma robe et mes sandales. Il prit mon bras pour descendre les escaliers et nous quittâmes l’endroit sans échanger un seul mot.

À SUIVRE…

Cora
❤️

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