Le beau MIDI-DOLORÈS
Je m’extasie encore sur ce sandwich totalement savoureux et facile à faire avec des ingrédients que vous avez dans le frigo tous les jours. Un délice inscrit à notre menu depuis 1989.
Et tout ça à cause de la mère d’une associée de notre troisième restaurant Cora.
Venue de Rimouski en autobus, madame Dolorès Bédard est entrée dans notre nouveau restaurant de Vimont sur une patte, chantonnant et dansant tellement elle se réjouissait de pouvoir surprendre sa fille Martha, alors en train de décorer le grand comptoir à fruits.
« Martha, Martha ma chérie », cria la sexagénaire un peu trop dégourdie. Et Martha, trop surprise, en échappa son panier d’oranges lorsqu’elle entendit la voix forte de sa mère traverser le restaurant de 100 places assises.
- Maman, Maman! Qu’est-ce que tu fais ici?
- J’voulais te faire une surprise, ma p’tite Martha chérie ; j’veux visiter ton restaurant.
Puis, madame Dolorès insista pour me serrer la pince en me demandant tout de go une grande faveur. Elle voulait voir son nom écrit quelque part dans le fouillis de mots cartonné qui nous servait de menu à cette époque.
- Qu’allez-vous prendre pour dîner, chère Dolorès?
- Avez-vous des sandwiches aux œufs? C’est ce que j’aime le plus au monde.
Un sandwich à la salade aux œufs cuits durs tout écrasés avec des échalotes et du céleri finement haché et un p’tit peu de persil et plein de mayonnaise.
Le tout servi entre deux belles tranches de pain bien rôties.
Lorsque je suis revenue de la cuisine avec l’assiette contenant le repas que Dolorès aimait le plus au monde garni, bien entendu, de nos beaux fruits frais, la femme s’est mise à pleurer.
Pleurer de joie parce que sa fille venait de lui dire que Cora avait décidé de nommer ce plat « MIDI DOLORÈS » en son honneur.
Moi aussi j’avais envie de pleurer de joie. Parce qu’encore une fois, j’avais réussi à faire plaisir à quelqu’un avec ma nourriture.
Et depuis ce jour-là, nous vendons chaque semaine des milliers de MIDI DOLORÈS au Québec et partout au Canada.
La recette de mon succès, je l’ai comprise bien des années plus tard, en y repensant, en racontant ou, à l’occasion, en écrivant l’histoire de la naissance de telle ou telle nouvelle création.
À partir de l’instant où une graine d’idée germait dans ma tête, une attente fébrile glissait sur mes bras et faisait se mobiliser dans mes mains tout plein de créativité et autant d’amour bouillonnant dans mon cœur.
Telle une véritable mère, je souffrais, attendant patiemment que le nouveau déjeuner sorte des limbes et me montre son visage.
De la plus simple à la plus formidable nouveauté, chaque naissance me remplissait de bonheur. Et le travail de toutes ces années, aussi ardu fut-il, me semble aujourd’hui une longue épopée d’aventures fabuleuses.
Je ne suis pas du tout une vraie cuisinière, mais j’aime tellement faire plaisir au monde que c’est plus fort que moi. Encore aujourd’hui, j’essaie constamment de nouvelles combinaisons d’ingrédients ou de saveurs. Et c’est toujours dans le but de voir l’étonnement dans les yeux du client ou de faire grimper les décibels de ses joyeuses exclamations lorsqu’il reçoit son assiette de nourriture.
Il faut dire aussi que je ne me suis jamais inquiété de savoir si j’avais les qualités requises pour la tâche. J’aime croire que c’est plutôt le bras invisible du destin ou celui d’un bon ange qui m’aidait à avancer, tantôt me tirant vers un nouvel emplacement magnifique, tantôt me poussant hors du lit un vingt-cinquième jour d'affilée sans repos.
Je vous ❤️
Cora
La vie comme un arbre
Qui ne cesse de mourir.