La Récolte 90
Bravo Gigi!
Ce matin, un autre souvenir taquine ma caboche; une belle histoire qui veut elle aussi sortir de ma mémoire et clamer sa notoriété. La voici donc.
J’ai ouvert le premier petit Cora le jour de mes 40 ans, le 27 mai 1987. Et j’ai travaillé 14 mois d’affilée sans prendre une seule journée de congé. Nous l’ignorions à l’époque, mais les enfants et moi étions en train de créer une révolution qui allait drôlement améliorer le premier repas de la journée, le déjeuner. Et aujourd’hui, le concept bien établi célébrera ses 33 ans de succès.
Aux enfants insistant pour que je prenne quelques jours de congé, je répondais toujours que plus tard, j’irais en vacances. Que plus tard, on aurait les moyens d’acheter des équipements flambant neufs. Que plus tard on serait connus. Et, que plus tard, on aurait plusieurs restaurants. Ça, c’était le plus difficile à croire. Et les marmots me traitaient de fofolle aux idées de grandeur. Mais ils travaillaient très fort parce qu’on s’était mutuellement promis qu’on allait s’entraider et se sortir de la pauvreté.
Ainsi disposée, ma grande fille Gigi* (nommée Julia dans « Déjeuner avec Cora » publié en 2001) arriva un beau samedi matin dans notre deuxième restaurant exactement en même temps que monsieur Pom, notre boulanger tout joyeux de nous présenter un nouveau produit.
Ma belle Gigi, perspicace, gourmande et aussi curieuse qu’une chouette, s’empressa d’agripper la surprise des mains du boulanger. Elle en déchira l’emballage et, pendant quelques longues minutes, examina, palpa et huma la magnifique brioche raisin-cannelle qui allait devenir chez nous l’élue de millions de clients à la dent sucrée salée.
Sans prononcer un seul mot, l’experte des surprises phénoménales trancha la brioche en plein milieu dans le sens de la largeur, ignorant totalement la figure déconfite du boulanger. Comme égarée dans sa tête, la jeune cuisinière examina le comptoir à fruits devant ses yeux. Le boulanger, moi-même et une serveuse maniaque de nourriture étions tous les trois bouche bée. Ma fille réfléchissait. Puis, elle sourit et nous imposa le silence. Pendant quelques instants pourtant, on aurait cru entendre ses neurones transmettre un signal d’éblouissement garanti.
Gigi trempa chaque demie de brioche dans notre délicieux mélange à pain doré aromatisé et les coucha délicatement sur la plaque de cuisson. Les morceaux commencèrent par frissonner de peur puis, cédant peu à peu à la chaude embrassade, le pain se transforma en un surprenant délice. À l’instant où la spatule souleva les deux morceaux de brioche bien dorés pour les faire glisser dans une grande assiette oblongue, le visage de ma fille s’illumina. Et comme je la connais, j’ai vite su qu’une nouvelle vedette allait s’ajouter au panthéon de nos nouveautés.
Gigi déposa un bel œuf au miroir et deux tranches de bacon sur une demie de la brioche dorée et orna l’autre d’une montagne de fruits frais joliment taillés. Voilà maman! me dit-elle plutôt contente d’elle-même.
Bravo ma fille! Depuis le temps que je te plante des graines dans le coco, voici enfin une merveilleuse récolte.
Et nous avons vite baptisé ce plat RÉCOLTE 90
Immédiatement offerte aux habitués du comptoir, la RÉCOLTE 90 devient en quelques jours l’idole incontestée de toutes les illustrations placardées sur les murs du resto.
Enivrée par la popularité que lui vaut sa récente découverte, ma fille insiste pour que nous fassions imprimer un vrai menu. Un menu qui empêchera la clientèle de se tordre le cou en cherchant sur les murs quoi manger. Un menu qui, surtout, expliquera en détail la composition de la délicieuse RÉCOLTE 90 tout en soulignant que le plat a été créé par nulle autre que mademoiselle Gigi elle-même.
Comme nous savons qu’il faut battre le fer quand il est chaud, un premier menu dessiné par ma main fut imprimé quelques mois après l’arrivée de la RÉCOLTE 90. Est-il besoin de vous dire que 30 ans plus tard, ce plat est encore le plus populaire de sa catégorie de plats sucrés salés?
Ce plat magnifique est un bel exemple des effets de notre révolution initiée en 1987 par l’arrivée des Déjeuners Cora. Mille mercis à chacun d’entre vous pour ces 33 ans de matins ensoleillés.
❤️
Cora