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24 février 2023

La mort n'existe pas

7 h 40 au café du village
À peine installée à ma table habituelle, j’implore dame inspiration pour que, d’en haut, elle me lance un gigot bien dodu. Attendant ma pitance d’aujourd’hui, je fixe le plafond noir du café et ses grosses lampes noires suspendues au-dessus des comptoirs de victuailles.

J’attends, j’attends qu’une foultitude de phrases dégringolent d’un nuage et atterrissent sur le blanc de ma page. Je ne suis pas inquiète. J’ai confiance au magnétisme des mots qui jamais ne s’éloignent trop longtemps de mon encre. Je les imagine embourbés dans la neige ou tournoyant sur la glace vive. Je sais qu’ils me cherchent et je les attends sans grincer.

On me sert un deuxième café. Les demoiselles au comptoir me sourient. La plus jeune ose me demander sur quoi j’écris aujourd’hui. « Sur rien » que je lui réponds; sur un fantôme invertébré capable de passer à travers une porte. Je me rassois et l’attente s’éternise.

Et voilà que, sans crier gare, Claude, mon ami pilote de brousse, entre dans le café et se dirige vers ma table. Rapidement il s’assoit pour me raconter un miracle dont il a été témoin, en plein vol, la semaine dernière; juste avant la tempête de neige.

Il s’affairait à photographier les rives des Îles-Laval dans le cadre d’un mandat confié par la municipalité lorsque soudain, il a vu sa mère assise sur le siège à côté du sien. Elle venait de mourir quelques semaines plus tôt et elle voulait rassurer son fils concernant la mort, lui dire à quel point l’au-delà est magnifique et ce qu’on appelle la mort « n’est qu’un passage dans une autre forme, d’une autre vie sur une autre fréquence ».
— WOW! Ta mère t’est apparue!
— Oui, exactement comme je te vois.
— Es-tu certain Claude que ce sont exactement les mots qu’elle t’a dits?
— Absolument certain. Ma mère était une maîtresse d’école qui a jonglé avec les mots toute sa vie durant. Elle écrivait des textes à l’occasion et elle lisait beaucoup. Elle connaissait tout de la mort et elle l’envisageait avec optimisme.

— J’ai moi-même beaucoup lu sur la mort, cher Claude, et surtout sur le passage de la vie à la mort. Ce que ta mère t’a raconté, ce sont presque les mêmes mots que la docteure Elisabeth Kübler-Ross (1926-2004) a publiés dans son fameux livre La mort est un nouveau soleil.

— Ma mère connaissait les écrits de la docteure Kübler-Ross. Elle savait qu’ils ont longtemps été contestés par « l’establishment » de son époque. La théorie d’alors était « qu’il ne pouvait y avoir de vie après la mort, puisque d’après la pensée matérialiste, l’homme et son corps, composé d’atomes et d’énergie, étaient une seule et même chose, de sorte qu’avec la mort du corps, son âme et donc toute son existence devaient être considérées comme terminées. »
— Exact, dit Claude. Selon la docteure qui a passé plus de 20 ans au chevet des mourants, la mort « est une expérience unique, belle et libératrice que l’on vit sans peur ni détresse. »

— C’est dans ces mots, chère amie, que maman m’a raconté son passage vers l’autre rive. Et je ne suis pas du tout surpris, car elle était prête. Elle savait que la mort n’est pas la fin, mais un nouveau commencement. Elle m’est d’ailleurs apparue pour m’encourager à ne pas avoir peur. Elle m’a même dit que j’aurais un meilleur avion dans ma prochaine vie; que je ne vieillirais plus et que, chaque jour, je serais heureux et comblé.

— WOW! Claude. Quel magnifique cadeau tu me donnes aujourd’hui! Avant ton arrivée, j’attendais candidement l’inspiration et voilà que tu me parles d’une future vie éternellement belle. Sais-tu, cher ami, que la mort a une très grande importance dans mes gribouillages? J’en parle assez souvent à mes lecteurs, peut-être trop souvent à leur goût. La mort est pourtant une réalité inévitable; aussi tangible que l’année de naissance sur le baptistaire. J’approche moi-même du basculement sur l’autre rive. « Là où tout n’est qu’ordre et beauté », comme disait si bien Charles Baudelaire dans son fameux poème « L’invitation au voyage » en 1857.

10 h 26
À ma dernière heure, j’en suis certaine, un immense oiseau, un albatros hurleur transportera ma dépouille somnolente sur ses grandes ailes bienveillantes.

Nous avancerons par grands vents, traversant les vastes mers et effleurant les pics enneigés des plus hautes montagnes.

Nous transpercerons quelques nuages, caresserons des arbres centenaires et saoulerons d’eau des prairies de tournesols en prière.

Au coucher du soleil, nous amerrirons dans une baie cristalline. En touchant l’eau, mes paupières s’ouvriront, mon cœur recommencera à battre et une nouvelle vie m’ouvrira ses bras.

Cora

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