La marieuse s'appelait Natasha – Chapitre 4
La vigilante marieuse insiste sur la qualité de ses candidats. Quatre hommes de bonnes valeurs, d’âges compatibles avec le mien, instruits, bilingues ou trilingues, un musicien, un homme d’affaires, un grand voyageur et un professeur de philosophie à la retraite.
— « Wow, chère Natasha! Et moi, serai-je à la hauteur? »
— « Ne vous inquiétez pas! Vous êtes encore attirante. Nous avons compilé les réponses des quatre concurrents et nous pensons que chacun d’entre eux pourrait vous ravir. N’ayez crainte, car vous n’aurez que l’embarras du choix. »
— « Quand pourrai-je les rencontrer? »
Les gens paient généralement des assurances pour que rien de fâcheux ne leur arrive. Mais l’amour, le grand, le solide, le magnifique, est-il seulement garanti? Mes petites cornes de femme d’affaires habituées à me faire douter, parlementer, négocier ou monnayer font surgir la question : que vais-je en faire?
— « Oubliez vos cornes et laissez votre petit cœur parler, me répond la marieuse. Chaque femme a le droit de trouver son prince charmant ».
J’avais trouvé le mien à 18 ans. J’en rêvais, tellement il était beau! Jamais, cependant, je n’ai pu lui serrer la pince parce qu’il gagnait sa vie comme acteur au cinéma. En effet, lorsqu’en 1965 le fameux film « Le Docteur Jivago » est arrivé dans les salles de cinéma, la terre entière a découvert la beauté et l’immense talent d’Omar Sharif, le très célèbre comédien qui incarnait le docteur Jivago. J’avais visionné cette histoire d’amour une vingtaine de fois avant même que le vilain ogre charcute mon cœur.
— « Dame Natasha, aidez-moi. Ayant si peu d’expérience des choses de l’amour, comment pourrais-je choisir le meilleur homme pour moi? » J’appris ainsi que je devrais d’abord avoir une conversation téléphonique avec chaque candidat avant que nous décidions de poursuivre.
— « N’oubliez pas d’utiliser votre nom fictif (Claudia) en parlant à chaque candidat! Quelque trente ou quarante minutes suffiront pour un premier contact. »
— « Mais qu’est-ce que je leur raconte? Que je suis une vieillotte inexpérimentée à la recherche d’un prince charmant? Dame Natasha, dites-moi, les hommes sont-ils plus dégourdis, fonceurs, adroits, et entreprenants? »
Peut-on connaître les tréfonds de l’autre lorsqu’on a soi-même mille difficultés à ouvrir son propre cœur? Dix mille sentiers brouillent l’adresse du véritable bonheur. Toute cette aventure vaudra-t-elle son pesant d’or?
Que vend la marieuse, au juste? Même pas une toute petite assurance de succès! Quatre conversations téléphoniques avec quatre voix d’hommes; quatre rencontres en personne garanties si personne ne se désiste. Seul un très long questionnaire d’environ 200 questions nous lie. Où en suis-je avec toutes ces balivernes? Dame Natasha devine mon état d’esprit et me convainc de poursuivre le programme. Dès ce soir, elle me mettra en communication téléphonique avec un premier candidat.
Professeur de philosophie à la retraite, le premier prétendant s’annonce comme un grand sportif à tête rousse pratiquant le ski, le golf, le tennis, le vélo de montagne et l’équitation.
Essoufflée comme je suis rien qu’à écouter son discours, mon cœur tombe du cheval juste à y penser! Mais j’aime la philosophie. J’aime aussi sa belle tête rousse aperçue en photo. Ce premier homme pourra-t-il m’aider à comprendre Martin Heidegger, celui qui, pour moi, s’avère le philosophe le plus influent du XXe siècle?
Natasha me suggère d’accepter une courte rencontre en personne. Un déjeuner, un latté dans une pâtisserie ou une promenade au parc Lafontaine. « Attention, par contre! », me prévient-elle. « Défense de passer toute la journée avec lui ». Les rencontres trop longues peuvent laisser entrevoir trop de choses.
L’homme à tête rousse me suggère un déjeuner au Ritz et je dis OUI! Pourquoi pas? C’est à ce Ritz que je me rendais d’ailleurs jadis chaque mois pour un déjeuner-causerie de femmes d’affaires.
Dans la longue file d’attente, une tête rousse bien garnie attire mon attention. La trouille s’empare de moi. Je le trouve trop beau, trop jeune et le suppose plus intelligent que moi. Cet ancien philosophe connaît certainement par cœur toute la descendance de l’homme de Cro-Magnon.
Je deviens nerveuse. J’ai faim. J’ai tellement hâte de boire mon premier café! Puis le maître d’hôtel me reconnaît et m’invite à m’asseoir à l’une de ses meilleures tables qu’il garde pour ses bons clients. Claudio, le plus vieux serveur du Ritz, m’aborde avec un immense sourire.
J’hésite, je zieute, je cherche la tête rousse. J’avertis le maître d’hôtel que j’attends quelqu’un. L’homme roux me rejoint enfin à la table. Devinera-t-il qui je suis? Il s’assoit, me dévisage et semble se demander s’il me reconnaît de quelque part.
— « Chère dame Cora, lance Claudio, vous ne vieillissez jamais? Ça fait trop longtemps qu’on ne vous a pas vue! Ce midi, je vous propose notre fameuse quiche sans croûte aux champignons, poireau et fromage de chèvre. Qu’en pensez-vous? »
À SUIVRE.
Cora
❤️