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4 août 2023

La bienveillance

L’autre midi chez Renaud-Bray, je cherchais le dernier livre d’un de mes auteurs préférés (Tahar ben Jelloun) et voici que s’impose à moi « LES 50 RÈGLES D’OR DE LA BIENVEILLANCE » d’Anne-Laure Boselli. Vous connaissez peut-être cette collection de petites briques de 50 règles d’or pour nous améliorer dans tous les domaines. Je raffole de ce genre de conseils! J’ai toujours été dure envers moi-même. Maintenant que je vieillis, je ramollis. Oui, oui! Dans mes chairs, dans ma tête et surtout dans mon cœur.

Je suis mûre pour en apprendre davantage sur les bienfaits de la bienveillance et, subito presto, je m’installe sur le divan de la bibliothèque avec un thermos de café et du papier pour noter le plus important. Je lis presque d’un trait tout le livre et j’écris dans mon calepin une colonne de « musts » susceptibles d’améliorer mon comportement.

« La bienveillance est une disposition favorable à l’égard d’autrui. » Selon dame Boselli, ces musts incontournables sont la bonté, la gentillesse, l’empathie, la compassion, l’altruisme, la confiance, la tolérance, l’indulgence et la charité.

J’ai commencé en affaires avec le cœur amoché d’une maman pauvre, mais vaillante, ignorante du métier, mais très créative. J’adorais cuisiner et j’aimais surtout éblouir mes clients avec des déjeuners hors du commun.

Sans vraiment nous en apercevoir, les enfants et moi avons créé un nouveau concept de restauration qui est vite devenu immensément populaire. Si populaire que nous avons pu nous multiplier à profusion. Au neuvième restaurant, qui était aussi notre première franchise, j’ai dû échanger mon grand tablier blanc contre un sérieux tailleur de grande patronne.

Je l’avoue humblement, mon cœur, ma tête et mon corps de chef d’entreprise se sont vite endurcis. Je ne suis pas devenue méchante, mais exigeante et intransigeante. Ayant commencé avec presque rien, je comptais les cennes noires pour boucler nos fins de mois. Et l’habitude m’est restée.

J’étais dure, disait ma fille, intraitable et sévère. Après chaque inauguration d’un nouveau resto, j’insistais pour que l’on planifie rapidement la prochaine ouverture. J’avançais à pas de géant, « comme si j’avais le feu aux fesses », disait le plus jeune. Contre vents et marées, une grande chaîne de restaurants franchisés a vite vu le jour en sol canadien et j’en étais très fière. D’un océan à l’autre, « nous avions des Cora dans chaque province », que j’ajoutais en gonflant ma poitrine.

Oui, oui! Je l’avoue, bien souvent j’étais bouffie d’orgueil en contemplant ma flamboyante réussite. Je n’essayais pas de me montrer supérieure à qui que ce soit. J’étais juste devenue la big boss d’un cirque médiatique pancanadien. J’apprenais à dompter les lions, à marcher sur des fils de fer, ou à être, bien souvent, le boulet dans le canon. Dans ma tête, je devais performer, sans quoi l’immense chapiteau s’effondrerait.

Les enfants et moi avions subi plusieurs tourments depuis l’enfance et je voulais au moins leur assurer une meilleure vie. Lorsque je leur ai cédé l’Entreprise, je suis lentement redevenue une femme ordinaire; une maman rongeant son frein. J’ai dû aller aussi loin qu’en lointaine Chine pour réussir à couper le cordon d’acier qui m’attachait à tout ce que j’avais mis au monde.

Avec un groupe de touristes, nous visitions les 14 villages de Wuyuan accessibles aux voyageurs étrangers. On m’avait logée pour la nuit dans une chambrette avec un lit simple, un genre de pot de chambre en terre cuite, une table, une chaise et une gourde en métal pour aller chercher l’eau fraîche d’un puits à proximité.

Je m’en souviens, comme si c’était hier. Quelques minutes après mon arrivée dans la chambre, une vieille Chinoise attifée d’une robe à fleurs traditionnelle de couleur carmin m’apporta un plateau de nourriture. Cette femme sans âge était d’une gentillesse hors du commun. Elle avait un sourire bienveillant et lorsqu’elle entreprit de dire quelques mots en baragouinant l’anglais, j’ai vite senti sa compassion. C’était comme si elle-même ressentait la boule de chagrin qui brûlait mon cœur.

Je voulais lui expliquer mon désarroi, lui raconter ma vie, et lui dire combien j’étais peinée d’avoir perdu ma raison de vivre. J’avais caché ma peine à mes enfants, aux gens de l’Entreprise et au monde entier. Je me croyais forte et brave et cette charitable Chinoise devina ma peine. Elle m’apparut comme un ange bienveillant. J’étais si seule, si loin de mon monde, et j’avais un urgent besoin d’expulser mon chagrin, de couper ce terrible cordon ombilical qui me gardait dans le passé.

Lorsque cette étrangère prit ma main dans la sienne et me parla, un miracle se produisit. Ce fut comme si je comprenais et assimilais chacun de ses mots, comme si mon cœur recommençait à battre, que mon corps se libérait de ses entraves et que mon sourire embrassait l’immense Chine tout entière.

Le cœur de cette femme m’a guérie. Sans connaître son nom, son âge, sa langue, ses coutumes et son histoire personnelle, j’ai compris qu’elle était la bienveillance même, la bonté, la gentillesse, l’empathie et la compassion.

Je suis peut-être un chat possédant plusieurs vies et j’espère gros comme le ciel que ce soit l’écriture qui puisse m’accompagner jusqu’à la fin.

Je n’ai plus d’autres ports d’attache que les cœurs de mes précieux lecteurs. Ce sont eux qui accueillent mes beaux mots et guérissent mes bobos. Eux qui me gardent vivante et pétillante.

Cora

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