La beauté de la bonté
« En vieillissant, disait Victor Hugo, essayons de gagner ce que l’on pourrait appeler la beauté de la bonté ». Toutes vieillottes que nous sommes, quelle adorable phrase à entendre ce matin. Je ne peux rien faire contre l’âge chronophage, mais je peux mettre du mauve sur mes paupières, du rose sur mes lèvres, une épinglette à mon collet et des violettes africaines dans mon cœur.
Notre enveloppe corporelle s’étiole, s’affaiblit, dépérit, craquelle et s’atrophie. Bien souvent, ce que nous voyons à l’œil nu est un accoutrement foncé, une démarche ralentie, une canne comme amie. J’en possédais trois à la maison : une mauve, une jaune et une brun foncé que j’ai oubliée dans l’avion lors de mon dernier voyage à Toronto. Eh oui, ma mémoire flanche à l’occasion et je me dis que vieillir se révèle une aventure à nulle autre comparable.
J’accueille aujourd’hui ce qui m’arrive dans l’intensité d’un présent qui jadis m’était dérobé par le vacarme du monde, le tourbillon des projets, les hauts et les bas d’une vie trop pressée. Heureusement, l’optimisme me suit comme une amie et au lieu de devenir une vieillarde aigrie et larmoyante, je persiste à me nipper en femme colorée, en semant autour de moi la joie et la chaleur humaine dont notre monde a tant besoin.
Ne nous leurrons pas, la capacité de vivre notre grand âge agréablement ne dépend pas tant des conditions de la vie, mais grandement de notre état d’esprit. Positive et créative, j’érige dans ma tête une construction mentale, une mythique fontaine de Jouvence dans laquelle je demeure vivante.
Nous, les aguerris de la vie, avons vécu notre lot de contrariétés et sur le tard, de grâce cueillons le bon et le bien de notre longue expérience. J’adore mes soixante-seize ans et je n’ai pas honte de boitiller, ni de perdre mes clés, ni d’oublier un détail important. J’écris des mots sur ma main, dans ma paume. Je note toujours tout dans un calepin pour que rien ne m’échappe. J’aime être un délicieux fruit confit, une petite bouchée de sage vérité.
Autour de 50 ans, j’ai lu dans un livre sur le Japon cette inestimable phrase que je n’ai jamais oubliée : « ima kara », qui signifie en français : « C’est maintenant que tout commence. » Croyez-le ou non, quelques années plus tard, je suis moi-même allée au Japon et j’ai vu de mes yeux vus toutes ces magnifiques personnes âgées faire de la gymnastique dans les parcs, se rassembler, discuter, manger ensemble, jouer aux dames ou gratter le shamisen (instrument à trois cordes au manche long dont la caisse de résonance est traditionnellement construite en bois de santal). La jeunesse de leurs cœurs se voyait à l’œil nu.
Ingénieur, biologiste et philosophe Albert Jacquard, alors âgé de 86 ans, a dit : « Vieillir c’est continuer à participer avec des moyens qui changent. Bien sûr, je cours moins vite, je saute moins haut, mais, tant que je peux fabriquer en moi des émotions nouvelles, partager quelque chose avec d’autres, faire en sorte que les autres s’enrichissent à mon contact, je ne suis pas un être trop vieux. »
Selon Marie de Hennezel, écrivaine et grande spécialiste de « l’aventure de vieillir », l’acceptation du vieillissement implique une révolution narcissique. Passer du corps que l’on a et que l’on voit dans le miroir au corps que l’on est, au corps vécu, au corps habité, au corps de présence. Cette révolution narcissique permet de cesser de se lamenter pour regarder du côté de ce qui n’est pas destiné à s’user ni à diminuer : le côté du cœur et de l’esprit.
Le mot de la fin me vient du fameux général américain Douglas Mac Arthur qui fut le chef d’état-major de l’armée américaine durant les années 1930. « On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années, on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Les années rident la peau; renoncer ride l’âme. Vous êtes aussi jeune que votre foi, aussi vieux que votre doute, aussi jeune que votre confiance en vous-même, aussi jeune que votre espoir, aussi vieux que votre abattement. Vous resterez jeune tant que vous resterez réceptif à ce qui est beau, bon et grand. Si un jour votre cœur allait être mordu par le pessimisme et rongé par le cynisme puisse Dieu avoir pitié de votre âme de vieillard ».
Vous tous, jeunettes et jeunots qui me lisez, faites en sorte de semer votre jeunesse de telle façon que vous puissiez récolter une belle et bonne vieillesse.
Plusieurs ont peur du vieillissement physique et craignent de s’enlaidir. Ils oublient que la beauté des personnes âgées réside dans l’expression du visage, cela s’appelle le charme, LA BEAUTÉ DE LA BONTÉ, un sourire et un regard qui ne vieillissent jamais.
Cora
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