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10 mars 2024

J'implore Chronos, le dieu du temps

Je badine, je rigole, je radote à profusion. J’ai souvent l’impression d’écrire comme si j’étais en phase terminale. Comme si je voulais tout dire avant de partir; tarir mon puits de jolies phrases et m’enfuir. La chair des mots a toujours été ma terre natale, là où toute réalité prend naissance, là où ce matin mes doigts usés essaient de coudre ensemble des espoirs troués, une biographie mille fois rapiécée.

J’avance et j’implore CHRONOS, le dieu du temps qui s’écoule. Des tréfonds de l’âge, ce fils de Zeus va-t-il me répondre? Je m’incline et je supplie tous les bonzes du Panthéon. Mes griffures d’encre noire sont une longue revendication, une prière pour mon cœur assoiffé d’amour.

J’ai jadis voulu aimer et j’ai dû traverser le mur barbelé des lamentations. Tant bien que mal, je cherchais un peu d’affection. Dieu merci, aux études comme en affaires, j’avais cette bienheureuse propension à avancer droit devant. Le ciel, je suppose, m’aide à ne jamais me sentir toute seule ici-bas. Toujours, toujours, quelques anges me déroulent un tapis volant; un aigle me lance quelques plumes et j’écris ma vérité.

Contente de quitter le royaume des rêves. J’adore le faciès rosi de l’aurore. Dans ma grande cuisine, je compte mes bénédictions. Je m’extasie. Combien de jours me reste-t-il pour peinturlurer mes derniers désirs? Je m’agenouille et je prie pour que la moissonneuse m’oublie au lieu de m’occire. Mon cœur s’immisce entre les lignes; mon ardeur harmonise les rimes.

Je badine, je rigole, j’imagine mon corps outrageusement flétri nageant en plein océan. Qui donc l’amènera sur la rive paradisiaque de l’éternité? Une baleine pourrait grignoter mes chairs. Je tremble et j’ai peur qu’elle avale aussi mon cœur. Que l’on me jette en pitance à la terre, que l’on cache mes mots dans les veines des ruisseaux!

Mes doigts frissonnent, mais ils foncent dans ces bienheureux matins d’écriture. Ils remontent l’aiguille du temps à leur guise. Ils utilisent les heures comme si elles étaient des minutes gratuites dans un parcomètre. Dans son gros bol, le temps mélange les étapes de ma grouillante vie.

Lorsque j’allume ma tablette, une gerbe d’étincelles jaillit d’une phrase à demi complète. C’est mon truc à moi pour ne jamais perdre le chemin d’une histoire débutée la veille. Ainsi, ce matin, je m’empresse de décrire les dernières coulées volcaniques de mon cœur. Une nuée ardente de désirs assèche l’encre noire de mes mots. Je m’imagine quitter ce monde sans attache ni regret, sans cadavre ni feuillet.

Devant ma page lumineuse, je réfléchis. Ce matin, comme chaque jour, mes doigts muets plient et déplient des dizaines de brouillons d’écriture. Ils biffent, ils raturent, ils effacent puis ils tapent et tapent de bons mots jusqu’à vider l’aurore de tous ses rêves éveillés.

Immanquablement, de nouvelles phrases planent et volettent à travers les nuages. Elles touchent la cime des montagnes, frôlent les aigles, cognent à la porte des anges et implorent la bénédiction d’en haut. Quand pourrai-je m’envoler? Le globe tourne, tourne, mais la vie est toujours une seule fois vécue.

Cora

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