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10 mars 2023

J'écris comme je tricote

7 h 35 au café du village

J’écris comme je tricote, avec des laines colorées. Je fais bien attention de ne pas échapper de mailles ou faire des trous dans le tricot. J’ai toujours un modèle fictif en tête. Un collet de blouson ou une ébauche de manche. Vaille que vaille, j’attends l’élan créateur. Il tarde bien souvent, mais finit toujours par ressembler à quelque chose : L’histoire d’un voisin de table qui attend son amoureuse ou celle de Carole dont c’est l’anniversaire aujourd’hui. L’être humain est un moulin à paroles et c’est relativement facile de lui tricoter une vêture. J’écoute, je regarde et j’enregistre des repères sur l’écran lumineux. Même un tout petit oiseau pourrait comprendre que je m’intéresse au genre humain, du moins, à ceux qui sortent de leur tanière et qui ont quelque chose à dire.

8 h 10
Je porte en moi, depuis peu, la vision d’un livre achevé. Il est dans ma tête comme un gros ventre qui ne demande qu’à s’ouvrir. À l’intérieur de moi, j’entends des phrases toutes faites, des chapitres dépareillés quémandant un peu d’air frais.

Ma longue grossesse aspire à mettre bas. Je voudrais être devant un immense miroir et permettre à mes yeux de voir ce que mes chairs transportent. L’aile d’un ange? Une nouvelle façon d’écrire? Un soudain jaillissement d’idées sublimes? Un cri primal donnant voix à mon écriture?

Je me débarrasse de ma mémoire trop encombrante et je me tiens dans la quotidienneté du jour, là où la chance sème ses granules d’or. Mes mains sont vides, sans un quelconque échafaudage d’idées. J’attends et je priorise la spontanéité et l’intuition créatrice.

10 h 4
Et c’est ainsi, comme bien souvent, qu’un nouveau voisin de table arrive, s’assoit et me sourit. Poliment, l’homme s’informe de ce que je suis en train d’écrire. Comment lui dire que je ne le sais pas vraiment? Certes, pour avoir de la suite dans mes idées, je peux lui répondre que j’accouche de quelques résolutions du jour de l’An. Mais je préfère me taire. Je lui souris quand même et il se lève pour aller choisir une viennoiserie au comptoir.

Lorsqu’il revient à sa table avec un café débordant de mousse blanche et un pavé aux framboises fraîches, je le félicite pour son choix de pâtisserie. Des framboises en plein mois de janvier, c’est plutôt rare. Et l’homme souriant de me répondre qu’il adore la vie avec un A majuscule.

Tout le bénéfice de sortir de chez soi, c’est ce genre de rencontre stimulante. Monsieur G. Ladouceur porte bien son nom. Il a passé sa vie professionnelle dans une Caisse Populaire, heureux comme un roi. À la retraite depuis quelque 10 ans, il prend soin de sa vieille mère et à temps perdu, il fabrique, peinture et vernit de jolis petits chardonnerets jaunes, des geais bleus et des colibris à gorge rubis pour offrir en cadeau. L’homme voyage dans le Sud. Il est allé plus de 15 fois à Cuba.
— « OUACHE! » La nourriture est horrible, répond l’ancienne moi cachée dans la nouvelle! Et patati et patata, monsieur Ladouceur m’apprend qu’il quitte dans une semaine l’hiver québécois pour deux gros mois à l’hôtel Paseo El Prado de La Havane.
— « WOW! » Répond la nouvelle moi, aussi gentille qu’un petit lapin domestique. ADIOS, AMIGO!

11 h 8
J’aime écrire dans un café. Je ne comprends pas trop pourquoi, mais je suis certaine que de m’entourer d’êtres humains aide ma concentration. J’ai souvent l’impression d’être assise dans une bulle translucide, comme à l’abri des bruits disgracieux. J’adore mes avant-midi d’écriture avec deux, trois cafés par matin. Je mange rarement avant d’avoir terminé une lettre. Sauf si je n’ai pas soupé la veille. Lorsque ma tuyauterie grésille, j’enfile un croissant au fromage en pitonnant et l’affaire est ketchup!, comme dirait ma petite-fille de 10 ans.

12 h 5
Ensommeillée dans la lueur froide de l’aube, je rêvais ce matin à cet enfant-livre grandissant dans mon cœur. Je caressais chacune de ses pages, je les tournais, prenant grand soin de ne point bousculer les paragraphes ou de trop les alourdir d’adverbes incongrus. Le texte a besoin de respirer et de boire l’essence des mots. Il me fallait aussi penser à la justesse des titres de chapitres; harmonisant chaque histoire avec le bien-fondé de ses rebondissements.

Un chapitre ne peut pas ressembler à une soupe de légumes hors saison ni à un gratin de pâtes trop cuites. La colonne vertébrale d’un texte ne peut pas perdre son aplomb ni valser impunément, de gauche à droite. La ligne directrice doit être aussi solide que la tour Eiffel de Paris. Je l’ai grimpée moi-même et je garantis sa solidité.

12 h 10
Je mange ma main et je garde l’autre pour demain, tellement j’ai faim. Imaginez-vous donc qu’ils ont construit un McDo dans mon village. Juste en face d’un IGA et en biais avec une pharmacie JEAN COUTU. Ce McDo m’a rappelé l’autre jour que j’y emmenais jadis mes marmots pour un repas de fête. J’ai donc considéré que je devais y faire un quelconque pèlerinage en honneur de ces joyeux moments du passé. Je m’en souviens tellement. Les jeunots prenaient chacun un gros Big Mac, frites et boisson gazeuse, et moi je choisissais toujours le McFish à la sauce tartare, frites et cola.

12 h 35
Affamée, je rentre donc dans notre McDo moyennement occupé pour le lunch. On m’oblige presque à pitonner sur un grand tableau lumineux pour commander. Je me trompe quelques fois et un tout jeune employé m’offre de passer ma commande. Je ne prends pas de frites, mais je commande un McFish, maintenant nommé Filet-O-Fish, celui qui vient avec deux filets de poisson et un cola. Ce fut totalement délicieux! Inimaginable à l’époque où nous y allions (1975-1980), la cuisine ouverte est aujourd’hui remplie de jeunes ados au travail.

Bref, chers lecteurs, j’ai beaucoup aimé mon dîner et j’y retournerai bientôt pour ce délicieux burger de poisson délicatement pané dont le pain était brioché et la sauce tartare des plus savoureuses. On s’en lècherait les doigts.

Cora

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