Encore des questions!
Encore des questions
Oui, oui! Cette dame Isabel P. veut encore m’interroger. Vous vous souvenez d’elle, j’espère que oui, car c’est la troisième fois qu’elle me cuisine! J’ai dit oui une fois de plus parce que, selon moi, cette jeune femme a le potentiel de devenir une Sophie Thibault ou une Céline Galipeau.
— Parlez-moi de votre vie quotidienne. Comment organisez-vous vos journées? Avez-vous quelques petites manies concernant votre écriture?
— En vieillissant, mon corps est devenu un être d’habitude. Immanquablement, il se réveille à 5 h chaque matin, sort du lit et boitille jusqu’au divan de la bibliothèque où il s’enfonce pour lire. C’est son endroit favori pour se rendormir une petite heure avant de se rendre au café du village pour écrire. Lorsqu’il n’a pas besoin d’aller au siège social de l’entreprise, il écrit jusqu’à 13 h, refait une sieste sur le divan et rouvre ses yeux vers 15 h 30. C’est alors qu’il pense à manger. À 18 h h, il allume la télé pour s’informer de ce qui se passe dans le monde et l’éteint rapidement. Il s’assoit sur le bicycle stationnaire et pédale dans le vide une petite heure en buvant son dernier café de la journée. Il passe ensuite une ou deux heures dans sa tête à réfléchir à de nouveaux sujets d’écriture ou à lire des magazines pertinents. Puis, attifé de fringues de nuit, il rallume la télé, et s’endort devant elle trois ou quatre soirs par semaine.
— Si vous aviez à choisir entre sagesse et intelligence, que prendriez-vous?
— Certainement la sagesse parce qu’en vieillissant, j’ai tendance à oublier tout ce que l’intelligence m’a appris. La sagesse me laisse tranquille, elle est assez sage pour m’accepter telle que je suis.
— Comment décririez-vous votre moi idéal?
— Je ne sais pas. Je viens tout juste de le mettre au four et lorsqu’il sera cuit, je pourrai éparpiller ses miettes aux quatre vents et voir ce qu’il advient de lui.
— Que choisiriez-vous : aimer quelqu’un très fort ou être aimée?
— J’aime déjà très fort mes petits-enfants d’un amour immense et je ne désespérerai jamais d’être aimée. Plus que tout, j’aimerais expérimenter les trémolos du cœur amoureux, du mien ou de ceux de l’autre.
— Qui a décidé de l’ordre des lettres de l’alphabet?
— Je ne sais pas, mais je crois que c’est très bien fait. L’amour est en premier et le zéro à la fin. Une chose est certaine, j’aimerais trouver l’amour avant la fin.
— Un petit oiseau m’a dit que vous ne déjeunez jamais. Plutôt curieux pour la reine du déjeuner! Est-ce vrai?
— Oui, c’est très vrai. J’ai passé plusieurs années à concocter les meilleurs déjeuners au monde pour nos nombreux clients. Nous n’avions jamais le temps de nous arrêter pour manger. C’est ainsi que, mes enfants et moi, nous nous sommes habitués à manger vers 15 h, juste avant d’entreprendre le nettoyage de la cuisine et les préparations du lendemain. Durant ces années-là, le jus d’orange était pressé à la commande et interdit aux employés. Encore aujourd’hui, je ne bois presque jamais de jus d’orange.
— Croyez-vous à la vie après la mort?
— Absolument. Si je n’y croyais pas, quelque temps après mon mariage, je me serais jetée au bout du quai de Caplan et les vilaines anguilles m’auraient dévorée en criant ciseau.
— J’ai entendu dire entre les branches que vous travaillez à publier un nouveau livre? Est-ce vrai?
— Oui, il est écrit et je travaille maintenant à en corriger les fautes. Le titre est encore dans les limbes et la mise au monde est prévue pour l’automne.
— Si on vous donnait le choix sur la façon dont vous allez mourir, que feriez-vous?
— C’est facile. Je voudrais partir en dormant, sans même m’être aperçue que je changeais d’univers.
— Que feriez-vous si vous connaissiez la date exacte du grand départ?
— Peut-être ferais-je comme un enfant qui compte les jours avant Noël. Je ferais des x sur les pages du calendrier.
— Sérieusement, Madame Cora, diriez-vous que vous avez réussi votre vie?
— Autant que faire se peut, dirais-je. J’aime énormément ce dernier quart de siècle et ce qu’il advient de moi avec l’écriture. Je me réveille chaque matin avec un nouveau défi. Un rêve à raconter, une histoire à peaufiner. J’adore décrire la glorieuse banalité du quotidien et j’aime surtout essayer d’amoindrir le désenchantement de vivre qu’expérimentent trop de gens malheureux.
— Ma dernière question : Si vous aviez le choix d’inviter n’importe qui au monde pour souper, qui choisiriez-vous?
— Avec un très grand plaisir et mon cœur rempli d’espoir j’inviterais Tenzin Gyatso, le quatorzième dalaï-lama et son ami, Matthieu Ricard, tous deux âgés de quatre-vingt-sept ans.
Cora
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