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23 juillet 2020

Croque thon

Moi j’ajoute un peu de céleri!

Nous avons ouvert le premier resto Cora en mai 1987 et ce fut un succès immédiat. Je me souviens particulièrement des week-ends. De la congestion infernale des automobiles essayant de se trouver une place dans le trop petit stationnement d’alors. Époustouflées par ce qu’elles avaient entendu dire ou hypnotisées par certaines descriptions de plats, les familles aussitôt sorties de l’auto couraient se faufiler dans le cordon de clients encerclant le vieil édifice où nous habitions le rez-de-chaussée. Du fond de ma cuisine, mes yeux devaient traverser le charivari des 29 places assises pour atteindre la fenêtre en baie du devant d’où me venait la clameur d’une foule avide d’entrer.

Pour rire, quelques fois, je chuchotais aux enfants que nous étions peut-être comme des attractions de fête foraine dont on exhibait les quatre bras, les six doigts par main ou la chevelure jusqu’aux pieds. Et le plus jeune se fâchait chaque fois contre ma stupide imagination et bien entendu contre le fait qu’ils n’étaient que des ados obligés par leur mère de travailler tous les week-ends de leur vie. Dieu merci, ce n’était pas nous que la foule venait examiner, mais ce qu’il y avait dans nos assiettes. Ils voulaient tous vérifier si ce qu’ils avaient entendu dire était vraiment aussi extraordinaire que ce qu’on leur avait raconté.

Et, Dieu merci, ça l’était. Et chaque client servi allait le dire à son voisin, à son amie à son collègue de bureau, qui lui-même, le redisait à ses proches. Et c’est ainsi, comme une traînée de poudre, que les tablées de nourriture Cora allaient se reproduire et se répandre un peu partout au Canada. Et Dieu merci, la force des phénomènes de foire que nous pensions être demeura avec nous. Puisque depuis plus de 33 ans, des milliers de bras et de mains agiles s’affairent encore à garnir avec amour nos tablées de nourriture ensoleillée.

Avec le temps, et toujours confrontés à l’incessant besoin de nouveauté pour éblouir nos clients, nous avons formé un petit groupe de « fous de la bouffe » qui se réunissait ponctuellement pour brasser des idées, tout proposer sans gêne aucune et aussi, ce que j’aimais le plus, pour raviver des souvenirs d’enfance faisant encore se trémousser la langue. Et c’est ainsi qu’un matin, la belle grande Annie, athlétique et vigoureuse, déterra pour nous l’histoire du fameux « grilled-cheese » que sa mère lui servait, toute petite, avec un bol de crème aux tomates Campbell. C’était son repas préféré, nous avoua-t-elle avec un trémolo dans la voix.

J’ai voulu en savoir plus, mais Annie se referma. On s’est donc concentré sur la possibilité d’un « grilled-cheese » capable d’arrêter la pluie de tomber. Et pendant quelques semaines, nous avons pratiqué mille et une façons d’anoblir le sandwich grillé en un délicieux repas tout rempli de bonnes choses. Un plat à déguster en toute quiétude, accompagné de fruits frais joliment coupés ou de pommes de terre rôties sur la plaque. Un plat qui, reproduit à la maison, pourrait quadrupler l’émerveillement des vôtres autour de la table. À moi, fillette nourrie cinq jours sur sept de morue bouillie, rôtie dans la poêle, en croquettes, salée ou nappée de sauce blanche, le « grilled-cheese » d’Annie m’avait tiré les larmes du cœur. Et j’eus tendance à préférer celui qu’on nommerait « sandwich CROQUE THON » lorsque l’équipe me présenta leurs meilleurs essais.

Imaginez un sandwich au pain brun, croustillant gaiement sur une plaque chauffante ou dans une poêle. Imaginez son ventre tout bien rempli d’une généreuse portion de thon en conserve habilement mélangé avec des échalotes émincées et juste un peu de mayonnaise. Imaginez, deux belles tranches de fromage jaune, chacune collée au pain et empêchant le poisson de glisser hors de sa cachette. Imaginez la première bouchée libérant une explosion de saveurs et la chair de thon entremêlée de fromage chaud et goûteux dégoulinant sur vos doigts. Ressentez l’excitation de vos papilles, le bruissement de votre mémoire se rappelant l’irrésistible attrait du fruit défendu.

Bien sûr, à la maison vous choisirez votre pain et l’ADN de votre fromage. Et bien sûr que vos marmots raffoleront du simple sandwich au fromage grillé. Surtout avec une bonne crème de légumes ou même une soupe poulet et riz en conserve. Mais il est certain qu’avec un brin de créativité, une source de chaleur et quelques pincées d’amour vous pourrez transformer ces deux aliments de base que sont le pain et le fromage en un véritable chef-d’œuvre culinaire.

Vous avez eu le temps de réfléchir ces derniers mois. Vous connaissez par cœur le contenu de votre frigo. Vous avez essayé beaucoup de nouvelles recettes. Si vous ne l’étiez point, vous êtes tout probablement devenu des fous de la bouffe. Vous êtes donc capable de transformer l’ordinaire « grilled-cheese » en un repas éblouissant pour les vôtres. Et le potentiel de garnitures est infini. « Tantôt familier et réconfortant, tantôt délicat et raffiné, le “grilled-cheese” est un sandwich aux multiples facettes qui est toujours irrésistible, quelle que soit son incarnation. »

     ❤️

   Cora

Psst : Moi, j’ajoute un peu de céleri finement haché à la garniture parce que ça donne du « crunch crunch » à la texture. Et aussi parce que je raffole du céleri. J’en mets partout et j’en grignote le soir en regardant la télé au lieu de manger des chips ou du chocolat (vieux réflexe d’ancienne grassouillette). Et aussi parce que mon nouveau passe-temps de confinement m’a appris à donner une seconde vie aux pieds de céleri en repiquant le cœur dans la terre.

Un magnifique été à vous tous.

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