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29 juillet 2022

Caplan, mon village (quatrième lettre de voyage)

Peut-être ai-je oublié? Vous ai-je parlé d’AMQUI, l’épicentre de la vallée de la MATAPÉDIA? Là où je me suis acheté des petits rouleaux à friser chez Hart parce que j’avais la chevelure déconfite par quelques orages. Oui, oui, ce soir-là, à CARLETON-SUR-MER, j’ai dormi comme dans l’ancien temps, avec un grand foulard de tête emmaillotant mes rouleaux torturants. Au matin, lorsque ma tête de gorgone entra dans l’espace CAFÉ de l’hôtel, le beau jeune homme qui servait aux tables m’a aussi apporté un étrange sourire avec le café. Un sourire et quelque dix autres cafés, que j’ai bus en écrivant ma lettre matinale.

Bref, en quittant CARLERTON, la BAIE DE MARIA, ainsi que sa jolie plage et sa mer magnifique m’ont tout de suite éblouie. J’ai même adoré les petits escaliers pour descendre dans l’eau, accrochés ici et là aux rebords de la route. MARIA m’a fait penser à une immense tarte au citron qui n’a pas besoin de meringue pour être magnifique. Avec ses bras grand ouverts aux touristes et sans nul besoin de bling bling pour attirer les incrédules, je pourrais presque conclure que MARIA est une des meilleures bouchées gaspésiennes.

Je roule et je roule, et lorsque j’approche de CAPLAN, la tragédie débute! Un ciel embourbé de foudre et d’éclairs me défrise les bouclettes. Je cherche mes aïeux. Je cherche la maison de mon grand-père Frédéric, ou celle d’à côté où nous habitions. Un déluge les aurait-il déracinées? Le village de CAPLAN serait-il devenu un trou d’aiguille dans une mappemonde? Ou est-ce moi? Serais-je devenue trop sénile pour reconnaître le village de mon enfance? Aurais-je tout oublié pendant la pandémie?

Telle une vieille chaussette au lavage, mon village aurait-il rétréci de moitié? À part l’église, pourléchée de bourrasques, je ne reconnais plus rien. Que faire, que dire? Les rues, les trottoirs et les petites devantures gazonnées sont vides. Je descends donc sur la grève et constate immédiatement que le quai aux millions d’anguilles a disparu. La terre des falaises et le sable ont encore la même couleur de jadis : rouge ferreux. Moi qui imaginais un petit pique-nique bucolique près de l’eau, je ravale ma faim. Même les roues de ma bagnole renfoncent de désespoir. Que faire? Revenue devant l’église, la pluie faiblit. Elle se change en crachin et devient fine, persistante et pénétrante. Je désespère. J’aurais peut-être dû ne point y revenir? Personne ne me connaît. Personne n’a vraiment besoin de me connaître.

Qui pourrais-je être, maintenant? Une poupée de chiffon, emportée par la vague? Un requin me tirant à droite et me jetant à gauche? La houle écrase mon ventre. J’ai mal partout. L’imaginaire et le réel s’entrechoquent dans ma caboche. Étais-je si jeune la dernière fois que j’ai vu CAPLAN? Serais-je trop vieille aujourd’hui? Un instant, l’église m’amadoue. Se souviendrait-elle de mon baptême? J’ai l’impression d’être une morte-vivante. Toutes ces années durant, le cimetière n’a-t-il pas veillé sur les corps de mes grands-parents maternels? Où sont les petites poches de noisettes écaillées que grand-maman gardait pour les grandes occasions, suspendues dans la pantry, comme elle l’appelait? Nous ne les avons pas toutes mangées.

Un long moment, le ciel m’asperge de larmes. Où aller? C’est dimanche. Tous les commerces sont fermés. La bagnole décide de redescendre sur la grève. Elle aussi désire s’enfouir dans le sable détrempé. Au large, j’ai l’impression d’entendre des sirènes chanter. Elles étendent leurs fringues gluantes sur la crête des grosses vagues. Ces reines de l’océan sont costaudes, elles se sont nourries de toutes les anguilles de la baie. Et je les envie. Tout le monde sur cette terre a une histoire à raconter, pourvu qu’il y ait quelqu’un pour l’écouter. Mais je suis toute seule sur la grève et ma voix s’effrite, mes mots tombent dans des coquilles vides.

Soudainement, je vois un homme en ciré noir qui marche sur la grève, la tête penchée. À coup sûr, il déterre des moules, comme nous le faisions, enfants. Je m’en souviens tellement! Frérot bataillait toujours pour être le meilleur, le premier à remplir son seau, le premier à attraper une truite au ruisseau. Il a aussi été le premier à s’endormir avec les vers de terre. J’ai envie de pleurer. La vie est si brève; la paix aussi frêle qu’un oiseau à l’aile pendante. Mille chagrins labourent mon esprit, mille questions restent sans réponses. La surdité du monde me bouleverse. D’un coup, toutes les plages d’autrefois quittent ma mémoire. Mon cerveau se dessèche.

Ma vessie étant sur le point d’éclater, je cherche en vain un endroit où me cacher. Je quitte la grève et décide de remonter la 132 en direction de MONTRÉAL. Ma bagnole éberluée grimpe les falaises et dépasse la pancarte AU REVOIR, CAPLAN. Mon cœur est au neutre. Adios, amigos! Mes deux paumes soudées au volant, je frise les 100 km à l’heure. Le moteur gronde et voilà qu’à ma droite, une affiche rouge feu annonce : DÉPANNEUR A+ FEUX D’ARTIFICE EN VENTE ICI. J’y entre en serrant les cuisses. « Avez-vous…? », que je demande. « Au fond à droite », de répondre un tout jeune garçon. Je me vide enfin de ma tristesse et, en sortant, trois belles rangées de magazines récents me sautent aux yeux. Je jubile! J’en choisis six puis j’attrape un gros sac de popcorn au fromage, un cola diète et une Coffee Crisp pour le dessert. C’est décidé. Je retourne à CAPLAN.

14 h 20 : Je roule sous une pluie fine et sans m’en apercevoir, je dépasse mon village natal. J’immobilise mon bolide. Un instant, je crois à un signe du ciel. Une femme dans la tourmente est certainement plus fantasque qu’une baleine bleue? Mon réservoir est aux trois quarts, j’envisage de rouler jusqu’à Percé, convaincue que lui, majestueux rocher, sera encore là, à m’attendre. Je démarre, j’avance à la vitesse prescrite. Au loin, je distingue à peine la ligne d’horizon séparant le ciel de la mer. Tout est blanc, beige crémeux. Lorsque j’arrive à PASPÉBIAC, je trouve un joli motel de jadis à 100 $. Je recharge mes appareils et j’étale mes achats sur le grand lit queen de la chambre. Je raffole des magazines. C’est mon point faible en ce qui concerne la consommation à outrance. J’ai devant moi RICARDO, VÉRO, CHÂTELAINE, ELLE QUÉBEC et BEL ÂGE. Oui, oui, les vieux m’intéressent au plus haut point. Aujourd’hui, j’ai aussi acheté LA SEMAINE avec la belle photo de dame Janette Bertrand en couverture. C’est une de mes idoles. Je suis toujours intéressée de lire ses bonnes recommandations et je désirerais tellement connaître sa recette de longévité.

Au mur, devant mon lit, une immense télé me dévisage. Je l’allume et ouvre mon sac de popcorn. La vie redevient magnifique. Un bain d’eau chaude savonneuse a pris soin de laver toutes mes frustrations du jour. À l’écran, Al Pacino raconte sa vie. Je suis comblée. Je l’ai adoré jouant Fausto dans Parfum de femme. Mon cœur palpite, mes yeux s’alourdissent et je m’endors dans les bras d’Al, fier successeur de son père, le Parrain.

À suivre dimanche prochain!

Cora

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