Aujourd'hui, le 8 mars
Très chère madame Cora,
Siège social de l’entreprise
Sainte-Thérèse, Québec,
Aujourd’hui enfin, je me permets de vous écrire moi aussi une lettre. Parce que c’est la Journée internationale de la Femme et parce qu’il n’y a point de meilleure journée pour revendiquer mes droits. Je suis vous. Enfin, pas tout à fait vous, la femme des panneaux publicitaires, mais vous la petite énergie féminine qui tient le fort à l’intérieur de votre carapace d’entrepreneur. Je suis bien consciente que vous aimez votre gros SOLEIL et que votre dévotion à son rayonnement est quasi totalement l’œuvre de votre vie. Mais je suis là, moi. Je suis ce qui restera de vous lorsqu’un jour on aura réussi à extraire le commerce de vos chairs.
Vous écrivez que votre créativité s’est amplement exprimée dans les affaires. Avez-vous donc oublié tous vos poèmes, vos haïkus et tous les textes magnifiques que vous écriviez avant même de revêtir une veste de cuisine? Avez-vous oublié la littérature? Le poète Rimbault et Husserl, votre philosophe préféré; les énigmatiques romanciers chinois qui vous ont fait voyager par-delà les continents?
Vous prétendez avoir créé de bons déjeuners et vous être exprimé à satiété. Avez-vous donc oublié votre talent pour les Beaux-Arts, vos surprenantes esquisses et l’étrange façon que vous aviez de former vos lettres majuscules en les dessinant? Ce talent remonte à très loin; avant même que vous ayez accepté qu’on vous passe cette affreuse bague au doigt. Avez-vous oublié la couture, les magnifiques jouets que vous faisiez pour vos bambins; les décorations de Noël en satin, vos robes et vos manteaux faisant se retourner les têtes sur votre passage? Vous en souvenez-vous? Vous aviez des mains de fée pour coudre, tricoter et broder des tableaux que tout le monde voulait accrocher dans leur salon. Avez-vous oublié les magnifiques poissons en tissus que vous avez confectionnés pour votre premier petit fils? Le petit berceau en taffetas rose pour votre première petite fille et les costumes de clowns chaque Halloween?
J’étais là, moi, enfilant l’aiguille et bien consciente de vos talents. Vous affirmez, chère dame, vous être découverte dans l’entreprise. Est-ce vraiment vrai? Ou aviez-vous juste oublié qui vous étiez avant de vous lancer en affaires?
Je vous écris aujourd’hui parce que je suis très frustrée que vous ayez oublié la beauté de nos vingt ans, notre vivacité d’esprit, nos multiples talents et l’originalité de notre personnalité attachante. J’avoue, pauvre madame, que la vie ne vous a pas vraiment gâtée. Vous veniez du monde dur et froid de l’incompatibilité de caractères et de la tristesse de parents malheureux. Vous avez dû survivre en écrivant, en vous inventant des paradis imaginaires jusqu’à ce que vous découvriez le monde des affaires où vous avez d’ailleurs excellé.
Bref, madame, vous avez peut-être conquis un pays, mais vous avez failli à prendre convenablement soin de la femme en vous. Vous m’avez tassée, moi, votre féminité, sous la carpette de votre succès. Et ne me parlez point du prix à payer pour réussir. Regardez ces magnifiques femmes qui aujourd’hui fracassent le plafond de verre. Pensez-vous que les responsabilités et le travail aient dévoré leur féminité? Pensez-vous qu’elles aient sacrifié l’amour d’un homme ou le simple plaisir de voir leurs orteils agréablement laqués? Non, madame! Ces femmes ne se sont pas laissé happer par la solitude intérieure comme vous l’avez fait. Elles n’ont pas toujours vécu en symbiose avec une marque de commerce, aussi brillante fût-elle.
Vous m’avez complètement oubliée, très chère grande dame du public. Vous avez oublié votre cœur et le mien, nos désirs et nos besoins. ET QUI SUIS-JE POUR VOUS, MAINTENANT QUE NOUS SOMMES DEVENUES UNE VIEILLE FEMME? Dites-le-moi, chère madame. Quand allez-vous m’aimer? Je me languis de recevoir un peu de votre affectueuse attention. Donnez-moi un centilitre de votre puissante concentration et je vous ferai moi aussi resplendir comme un soleil.
Voyez, chère dame, comment à force de vous porter sur mon dos, vos précieux mots tombent dans mes oreilles. Vous êtes puissante et vous pouvez nous aider. Souvenons-nous du doux temps de nos amourettes; lorsque nous lui portions des missives et qu’il déposait quelques oranges sur notre paillasson. Souvenons-nous de nos premiers battements de cœur; des gentils compliments des prétendants. J’y étais madame et c’était merveilleux. Vous souvenez-vous, au laboratoire du collège, où vous aviez même échappé une grenouille éventrée lorsque sa main avait voulu toucher la vôtre?
Très chère moitié, c’est notre fête aujourd’hui. Pourrions-nous enfin unir nos différences et nous réjouir d'être à nouveau entières et remarques? Allez madame, les livres à lire ne s’enfuiront point du salon. Mettez un peu d’ombre sur vos paupières et du rose sur vos joues. Vous êtes encore tellement belle.
ALLEZ MADAME, TROUVEZ-NOUS UN PRINCE PARDI!
Cora ❤️❤️