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20 mai 2021

Ma vie, un brouillon sans cesse réécrit!

Des centaines de fois, j’ai pris ma plume pour me recomposer une vie meilleure. 

Je me souviens, toute petite, lorsqu’un gros nuage de tristesse entrait dans la cuisine de Caplan, je courais dans ma chambre, claquais la porte et ouvrais mon calepin secret. Je ne parlais ni de papa, ni de maman, ni même du frérot fanfaron qui se croyait meilleur que tout le monde.

J’affutais mon crayon avec un petit aiguisoir en fer blanc et je dessinais la figure d’un ange ou d’une bonne fée ayant le pouvoir de me changer en princesse. J’écrivais ensuite quelques jolis mots remplis d’espoir et je devenais, comme par magie, la petite fille d’une reine décrivant à l’encre rose tous les petits bonheurs du jour.

Je me demande encore d’où m’est venue cette mythologie céleste que j’ai toujours implorée pour me sortir de la noirceur. Pourtant nous n’avions pas de livres à la maison; pas de magnifiques livres d’enfants comme on en voit aujourd’hui, pas de romans exaltants ni de revues d’intérêts variés. Rien, sauf une encyclopédie Grolier que papa payait à tempérament pour donner à maman matière à s’intéresser. Je m’en souviens tellement. Le texte était aride et malgré plusieurs déménagements, les 18 gros livres numérotés sont demeurés flambant neufs jusqu’à la mort de papa en novembre 1980. Nous, les enfants, étions devenus des adultes et nous n’avons rien dit lorsque maman les a fait disparaître.

La mémoire me manque, mais comment tous ces anges sont-ils entrés dans ma tête? 

Étaient-ils, dans l’église du village, de majestueuses statues entourant la Vierge Marie? Étaient-ils dans l’école, leurs saintes images placardées au mur de ma classe? Ou collés dans la marge de nos cahiers d’écriture lorsque nous avions particulièrement bien réussi un devoir?

De fait, les anges sont dans ma tête depuis toujours. Et je suis certaine que vous les avez déjà vus, chers lecteurs, sautillant à travers les paragraphes de mes lettres. Saviez-vous que ce sont eux qui façonnent la jolie dentelure de mes phrases? Eux qui confèrent à chaque mot un gentil halo d’émotion; eux qui agrippent le souvenir et le tire vers la lumière.

Toutes ces années, les anges écrivent avec moi jusqu’à ce que je puisse me relire, heureuse d’espérer! Dans la tempête, chaque fois, ils m’aident à dessiner un pont vers le soleil. Ils sont partout, sans que je puisse les voir, bienveillants et attentionnés.

Ne riez point, chers lecteurs, mais si tous les livres de cheminement que j’ai lus dans ma vie étaient des plantes grimpantes, je serais depuis longtemps dans la file d’attente du paradis. Mais je suis encore trop orgueilleuse; prétendant être capable d’allumer un feu de bois inondé de larmes. Manipulant l’incertain, j’ai accumulé des piles et des piles de feuillets d’écriture, des poèmes aux dieux inconnus, des historiettes brûlantes de désir et des dizaines de nouvelles parlant d’un avenir mirobolant. Et pourtant, encore aujourd’hui, vieillarde infatigable, j’insiste pour croire qu’une céleste main a judicieusement programmé ma longue vie. 

Maux à mots, je me raconte sur la page; je vous confie mes secrets et cette accablante impression que j’ai ressentie toute ma vie de ne pas avoir mérité l’amour de ma mère. Étais-je si méchante, trop secrète ou trop bien cachée dans un joli monde imaginaire? J’ai grandi ignorée et ignorante de ce qui se passait dans le cœur de mes parents. Peut-être ai-je manqué d’amour, d’affection et de tendresse, mais ce sont peut-être aussi tous ces manques qui ont stimulé ma résilience, ma créativité et ma passion de raconter.

Peut-être est-ce le fait d’avoir été négligée qui m’a fait me dépasser; aspirer à être meilleure, à prouver ma valeur et à mériter la terre sous mes semelles. 

Peut-être est-ce le désir de reconnaissance qui m’a motivée à créer une entreprise qui, de là, m’a poussée vers de plus grands défis.

Je me souviens, j’avais 10 ans et déjà je cherchais des mots rares dans le dictionnaire, des agates mordorées sur la grève, des petites phrases bellement composées et dignes de ma future carrière. Des fois je pense que mon attachement à l’écriture me vient d’un profond besoin de me façonner moi-même un avenir à ma convenance; un pont vers l’autre rive, là où tout serait amour et beauté. Et voilà d’où me viennent les multiples brouillons, les calepins, les essais et les piles de feuilles après feuilles qui s’envolent vers des mondes idylliques. Il y a en moi une blessure qui se guérit tellement lentement qu’entretemps je dévore de bons livres, je dessine, je cuisine. Et j’écris pour me savoir vivante, pour affronter mes incertitudes et pour amadouer mon destin.

Pour tout dire, j’aimerais quelques fois être un arbre, un sapin de préférence. Solidement planté et magnifique, le sapin passe sa vie à réfléchir, mais il ne pleure jamais. Il ne veut pas être un érable ou un chêne, ni aussi joli que le lilas. Le sapin n’envie personne. Son cœur paisible s’amourache de chaque saison et autour de lui, c’est toujours la fête. Ses solides bras ne perdent jamais leur éclat, ni leur couleur, ni leur parfum enivrant. Selon moi, ils sont les êtres les plus solides de la nature pouvant vivre très longtemps; presque 500 ans, selon les experts. J’ai carrément l’impression que les sapins sont parfaits dès leur naissance. Entourés d’adultes aimants et aimés, ils n’ont point besoin de milliers de feuilles à griffonner et à chiffonner pour apaiser leurs angoisses ou leur manque d’amour.

Si j’étais un sapin, je déposerais sur mes solides branches des centaines de petites soucoupes à déjeuner pour les oiseaux. Dans chacune, il y aurait des mini pancakes de suif, truffées de graines de tournesol; des petits morceaux de gras de viande, de râpures de pommes et de poires. Il y aurait aussi des petites boules de carcasses d’insectes mélangées avec du beurre et aussi des baies sauvages pour enjoliver chaque petit festin. Si j’étais un sapin, j’inviterais mes amis le cardinal rouge, la mésange à tête noire, le chardonneret jaune, le geai bleu et le pic chevelu. Nous chanterions ensemble l’Hymne au Printemps de Félix Leclerc. 

Et de loin, votre cœur entendrait battre le mien.

      ❤️

   Cora

                Psst : « Notre pouvoir ne réside pas dans notre capacité à refaire le monde, 

                                mais dans notre habilité à nous recréer nous-mêmes. »

                                                     Mahatma Gandhi (1869-1948)

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