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14 juillet 2024

Tu m'as encore oubliée

L’autre jour, on m’invite à parler de mon livre dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Mes auditeurs sont surtout des femmes de mon âge et trois hommes relativement en bonne forme. Ils ont tous l’air heureux de pouvoir me questionner sur ma vie, vanter mes délicieux déjeuners et s’enquérir de mon avenir. Je réponds à ceci, à cela, je patauge et leur raconte quelques morceaux épicés de ma longue vie.

Puis, l’animatrice de l’événement m’offre de rencontrer quelques patientes alitées qui, semble-t-il, me connaissent aussi, mais ne peuvent venir me rencontrer. Comme j’accepte de grimper à l’étage, nous rencontrons quelques braves femmes luttant ardemment contre des cancers. J’entrouvre la porte de la chambre 118 et j’entends : « Tabarnak, Jésus! Tu m’as encore oubliée cette nuit! » La femme s’adresse au crucifix doré qu’elle a placé dans sa chambre. « Tout mon monde est mort, mon hostie de mari, mes deux frères, mes trois sœurs, mes deux filles et le garçon de la plus jeune, mort du sida. Que le diable m’emporte si le bon Dieu ne veut plus de moi! »

La pauvre animatrice me confie à mots couverts que cette malheureuse femme est un réel miracle, une force de la nature. Depuis deux ans, elle a subi toutes sortes de chirurgies et elle vit toujours… malgré elle, on dirait. Je ne sais plus quoi dire, je bégaye, j’échappe des mots. Je vois l'aînée tirer son drap au-dessus de sa tête. Elle ne souhaite plus nous parler, je suppose. Mon cœur cherche un petit mot de consolation, mais rien ne sort de ma bouche stupéfaite. L’animatrice m’invite ensuite à visiter les installations de la cuisine, les tables agréablement disposées et le menu équilibré. Je n’ai que des félicitations pour ce genre d’établissement. Je laisse quelques livres à la bibliothèque de l’endroit, et je remercie l’animatrice avant de quitter le CHSLD.

J’ai encore toute ma tête, mes pattes bien droites et mes doigts vaillants. Quelle chance de pouvoir m’exprimer, écrire presque chaque jour et exercer mes vieilles méninges! Ma tête est un tonneau inépuisable de souvenirs et plusieurs réminiscences m’assaillent et méritent de revivre un court moment. Je me souviens comme si c’était hier : nous, les petites filles modèles, avions notre propre chapelet et devions obligatoirement nous rendre à l’église vers 7 h du soir pour assister au chapelet. Si nous avions oublié notre mantille ou notre chapelet, il fallait retourner les chercher à la maison. Je me souviens aussi du solfège qu’une religieuse m’obligeait à pratiquer pendant deux longues années. Je n’avais aucun talent en musique et cela n’a pas du tout changé! La seule chose que ma mémoire a enregistrée c’est « do, ré, mi, fa, sol, la, si, do ».

Un autre souvenir refait surface! Un certain vendredi soir, juste avant mon anniversaire. En ouvrant la porte de la cuisine, j’ai vu ma mère tremper une pomme dans un sirop brûlant. J’avais déjà vu des enfants en croquer, mais c’était la première fois qu’elle me présentait une pomme de tire, pour sûr, pour mon anniversaire. La semaine d’école était finie et maman avait fait bouillir des petites fraises des champs pour en tirer un sirop rouge et en napper les pommes. Frérot tapait du pied pour être servi le premier, mais la priorité fut accordée à la fêtée. Jamais je n’oublierai ce temps des pommes de tire. Une année, j’en ai préparé à l’Halloween pour mes jeunes enfants, mais ils ont tous préféré les bonbons colorés qu’ils quêtaient de porte en porte.

L’âge est une roue qui ne cesse jamais de tourner.
On naît, on vit, on meurt, nos cœurs n’arrêteront pas d’aimer.
Qui pourrait prédire ma dernière heure?
J’avance, je recule, je grimpe, je tombe.
Mon esprit translucide laisse passer la lumière.
Depuis toujours la couleur rehausse mon allure.
Le jaune soleil me garde joyeuse.
Le bleu du ciel et de la mer m’apaise.
Le orange m’invite à l’aventure.
Le vert nourrit mes espoirs.
Le rouge et le rose excitent mon petit cœur.
La page blanche m’invite à écrire
Et tous les tons de noir me font peur.

Cora
❤️

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