Vaille que vaille, j'avance
Je n’ai plus d’illusions. Je suis beaucoup trop vieille pour devenir un jeune prodige, mais ma caboche, cette tête entêtée, espère toujours. Elle bûche comme une acharnée. Mieux que personne, elle insiste, elle rêve, elle s’enfarge dans les fleurs du tapis et s’imagine arrivée au paradis.
Jour et nuit, ces temps-ci, je noircis des lignes, j’amoncelle des pages et je me nourris de feuilles froissées. Désespérément, je cherche ma voie. Surgira-t-elle d’une idée ensemencée dans mon passé qui soudainement pourrait ressortir de terre?
J’ai peur, j’ai froid. Un manteau de phrases rassurantes pourrait me réchauffer. Après notre fuite du logis, mes pauvres enfants ont été bringuebalés sans tendresse et sans câlins comme des petites grenouilles obligées de grandir trop vite. À cette époque, notre vie tournait en rond comme un manège de fête foraine. Je me souviens, moi qui connaissais tant de beaux mots, je n’ai plus eu de voix pour exprimer le massacre de mes écrits par l’affreux mari.
Serais-je trop vieille pour entreprendre une nouvelle carrière? Un nouveau livre pourrait m’intéresser, m’occuper, me rendre meilleure. La construction d’un récit me fascine. J’adore abouter des idées, des fragments de phrases, des souvenirs encore chauds et même d’étranges mots qui veulent dire quelque chose. Ces accumulations de lignes font naître de nouvelles perspectives servant de terreau fertile à de nouvelles idées. À mes yeux, une phrase, si saugrenue soit-elle, est bonne à coucher sur le papier. Elle peut ne jamais dépasser le stade du gribouillage, mais elle peut aussi se transformer en article, en jolie lettre ou en pavé de cent pages.
Je souffre d’un vide ce matin. J’ouvre la fenêtre et j’accueille l’aurore. Une espérance de soleil mijote derrière le clocher du village. L’écriture ressemble à une danse. Un mot en avant, un mot en arrière, puis une musique surgit. Ma radio FM tient la cadence. Entre averse de pluie et coup de soleil, mon cœur balance. Un souvenir me revient. Un certain après-midi de mai où j’allais avoir dix-sept ans. Le collège avait manqué d’électricité vers onze heures et nous, collégiens et collégiennes, comme nous étions tous pensionnaires, il nous fut interdit d’aller ailleurs que dans la cour clôturée de l’école. J’avais quelques pommes dans mon sac, deux dattes et une belle pointe de fromage Oka. J’étais amoureuse d’un certain Paul sans jamais lui avoir parlé. Quelques garçons ôtèrent leurs vestes, roulèrent leurs manches et déboutonnèrent quelques boutons. Il faisait si chaud! Mon front dégoûtait, mon petit cœur grelottait de peur.
Souvent, l’écriture déferle comme un raz de marée; ça entre dans nos têtes et ça déchiquette tout ce qui s’y trouve : les jugements que l’on porte, les attentes, l’impatience, l’égo, les croyances toutes faites et la terrible peur sous toutes ses formes. Écrire nous libère de cette prison existentielle. Plus je lis, plus je rêve, plus je vis; mon imagination gagne en élasticité. J’écris rarement sur ce que je sais. J’écris pour apprendre à écrire, pour mieux me connaître, pour découvrir à quelle catégorie de pousse-mine j’appartiens. Je gribouille dans mon lit, étendue dans un hamac, les orteils dans la piscine, ou encore admirative devant le chant des pinsons et les cris stridents des vaillantes corneilles. L’été est ma meilleure saison. J’ai beau implorer l’inspiration, la chercher, la supplier, c’est toujours elle qui bat la mesure et j’en conclue qu’elle m’aime et veille sur ma plume.
Parce que j’apprécie tous les aspects de l’écriture, je travaille dans la joie : lorsque je recherche des sujets de lettre, lorsqu’il faut me documenter sur quelque chose que j’ignore, lorsque je dois prendre des milliers de notes pour maîtriser un sujet, lorsque ma tête s’emballe et lorsque mon cœur bat la chamade. Je bois une dizaine de cafés par jour, je mange léger, j’écoute des chants grégoriens, je sieste deux petites heures et je noircis du papier jusqu’à ce qu’un point final me ferme le clapet. Je n’écris pas pour performer, j’écris pour jaser avec mes fidèles lecteurs. Et je le fais surtout pour qu’ils ne m’oublient pas.
Cora
❤️