L’histoire de ces délicieux petits carrés d’amour offerts tout spécialement pour faire plaisir au monde remonte chez nous à plus d’un quart de siècle. Après un mariage malheureux, un divorce sans provisions et sans rien dans nos poches, nous avons commencé, mes enfants et moi, l’aventure de survie familiale en 1987 dans un petit espace de restauration de 29 places assises.
La pauvreté nous a appris à tendre la main pour demander et, bien souvent, pour donner. Et c’est sans le savoir que nous sommes devenus chaleureux et généreux. À force d’avoir besoin d’amour, on s’est habitués à faire plaisir aux autres. Tout ça s’est bâti comme la mousse sur les arbres, sans qu’on s’en aperçoive vraiment. Parce qu’on était toujours prêts à surprendre un client avec notre générosité, avec un deuxième bol de soupe gratuit ou avec une pointe de dessert emballé pour emporter à la maison. D’un jour à l’autre, l’amour s’est mis à germer dans nos oreilles pour écouter de plus près notre monde; sur nos paupières pour être certains de reconnaître nos clients à chaque visite; dans nos mains pour les éblouir chaque fois; et dans le fin fond de la coquille osseuse de notre cerveau où grandissait une créativité bienheureuse.
Cette énergie salvatrice a fait son chemin à travers nous, affectant au passage notre volonté, notre raisonnement et l’imagination constructive qui allaient nous faire réussir en affaires.
Comme par magie, l’invisible sollicitude émanant de nos mains collait sur celles des autres, propageant le bénéfique virus à tous nos employés, à nos collaborateurs et, plus tard, à tous les alliés d’un réseau engagé à offrir à sa clientèle une nourriture et un service de première qualité, et imprégné d’une chaleureuse atmosphère familiale.
C’est ainsi qu’est née la tradition de donner après le repas un petit plaisir supplémentaire à nos clients. Et le plateau de sucre à la crème gratuit est vite devenu une partie intégrante de nos procédures. Chaque client recevait donc un chaleureux « Bonjour » en arrivant et une petite douceur à emporter en nous quittant.
Alors dans le but de faire plaisir à votre famille ou à vos voisins, faites du sucre à la crème et je vous garantis que vous entendrez tout un gazouillis de compliments venant de vos proches.
Beurrer d’abord un plat d’environ 6 po X 10 po
Préparer 2 tasses de sucre à glacer dont vous aurez besoin après la cuisson
Dans une casserole, mélanger :
3 tasses de cassonade pâle
2/3 de tasse de beurre fondu
2/3 de tasse de crème 15 % ou 35 %
Et quelques pincées d’amour
Porter à ébullition
À partir des premiers signes d’ébullition, poursuivre la cuisson pendant 5 minutes
Retirer du feu
Ajouter le sucre à glacer en fouettant énergiquement avec un fouet ou une mixette
Lorsque le mélange est onctueux, verser dans le plat beurré
Laisser refroidir et couper en généreux morceaux
Déguster avec modération et partager généreusement
La prochaine fois que vous viendrez en restaurant, prenez-en deux morceaux de ma part.
Chère dame Mireille Mathez,
Merci de me lire chaque dimanche! Vers la fin de l’été, vous me demandiez ma fameuse recette de gâteau au citron et graines de pavot. La voici, juste à temps pour les Fêtes! Bien sûr, vous pouvez aussi essayer la recette de Ricardo et peut-être comparer. Comme mes amis sont gourmands, moi je double toujours les ingrédients pour obtenir un gros gâteau.
Avant de commencer, assurez-vous de placer la grille au centre du four et de le préchauffer à 350 °F (180 °C). Choisissez un moule assez grand. Le mien, celui que j’utilise depuis 50 ans, mesure 14 pouces de long, 5 pouces de large et 3 pouces de profond. De toute façon, vous pourriez aussi verser la préparation dans deux moules plus petits ou ronds, à votre convenance.
L’histoire de ma vie a souvent consisté à survivre et pourtant, arrivée à 77 ans avec toutes mes dents, je découvre que vivre est beaucoup plus simple que je ne l’imaginais. Je n’essaie plus de comprendre les autres autour de moi; je ne fais que les aimer, les gâter et leur offrir de petits plaisirs à l’occasion. Ma progéniture adore le gâteau citron-pavot et je double toujours la recette pour en donner aux enfants, à ma voisine et surtout à mes vieux amis du café, qui dévorent aussi mes petits pots de confitures maison.
D’abord, chère Mireille, pour une recette double, lavez soigneusement 6 citrons et râpez leur zeste finement. Dans un grand bol, mélangez 3 tasses et demie de farine blanche tamisée, 2 cuillères à soupe de graines de pavot et 4 cuillères à thé de poudre à pâte.
Depuis quelques années, j’ajoute une troisième cuillère de graines de pavot à ma recette. Mon grand ami Éric, cuisinier émérite, m’a appris les vertus de cette fameuse graine. Riches en calcium, les graines de pavot renforceraient les os et les cheveux; elles favoriseraient aussi une bonne santé cardiaque. Leur importante teneur en fer et en manganèse permettrait également aux personnes souffrant d’anémie de lutter contre la fatigue. Mon ami cuisinier m’a jadis avertie que les graines de pavot ont tendance à rancir. Ce n’est pas mon cas parce que je prépare souvent ce gâteau et, si vous le réussissez bien, je vous assure que vous renouvellerez rapidement l’expérience vous aussi.
Mais revenons à nos moutons. Dans un autre grand bol, mélangez avec un batteur électrique les ingrédients suivants jusqu’à ce que la préparation soit homogène : 1 tasse de beurre non salé, 6 œufs, 2 tasses et demie de sucre blanc, le zeste finement râpé de 6 citrons et le jus de 3 citrons. Ajoutez ensuite le mélange de farine blanche, de graines de pavot et de poudre à pâte. Pressez ensuite le jus des 3 autres citrons et réservez pour en faire un léger glaçage.
Lorsque l’appareil à gâteau est bien brassé, tapissez le moule de papier parchemin finement arrangé, versez-y le mélange et enfournez. Le gâteau doit cuire pendant presque une grosse heure, mais c’est toujours le test du cure-dent qui me confirme que le temps de cuisson est terminé. Bien sûr, je me fie aussi à l’odeur qui sort du four et à la couleur du gâteau bien cuit. À force de cuisiner ce délice, vous deviendrez vite une experte.
Pendant que le gâteau achève de cuire, je mélange le jus de 3 citrons avec trois quarts de tasse de sucre à glacer et un peu de lait dans une petite casserole. Tout doucement, en brassant, le glaçage épaissit. Je l’étends ensuite sur le gâteau refroidi.
Avant de commencer, assurez-vous d’avoir au moins 6 gros œufs dans le frigo. Oui, oui! L’hiver dernier, en pleine tempête de neige, alors que le sucre et le beurre non salé étaient déjà mélangés dans mon grand bol et que quatre pieds de neige collante m’empêchaient de sortir mon véhicule de mon stationnement, j’ai dû attendre plusieurs heures avant que mon voisin puisse déblayer mon entrée. Vite, vite, je me suis alors précipitée chez IGA pour acheter les plus gros œufs, les extra gros que j’ai fouettés avec le beurre et le sucre blanc en priant mon idole décédée, cette très chère Jehane Benoît, celle-là même qui personnifiait la véritable cuisine québécoise et qui m’a appris la plupart de ce qu’aujourd’hui j’en connais. Elle m’a entendue, car mon gâteau était réussi. Une cuisinière avertie en vaut deux : chère Mireille, n’oubliez pas les œufs, extra gros de surcroît!
Lettre après lettre, comme des feuilles d’automne qui tombent de l’arbre, je vous ai candidement raconté ma vie, mes misères, mes défis, et cet affreux célibat, qu’assoiffée, je porte encore comme une cruche vide cherchant le puits.
Peut-être devrais-je inviter l’ami Claude à la maison pour râper le zeste de mes citrons?
Cora
❤️
Rendement : 8 crêpes
Ingrédients :
1 1/3 tasse (200 g) de mélange à crêpes nature Cora
1 1/3 tasse (325 ml) de lait (ou boisson végétale)
16 fraises (2 par bol)
80 bleuets (10 par bol)
32 mûres (4 par bol)
40 framboises (5 par bol)
8 chocolats After Eight (1 par bol)
Feuilles de menthe
Crème fouettée
Crème pâtissière au chocolat
1/2 tasse (125 ml) de sucre
1/4 tasse (60 ml) de farine tout usage
1 c. à soupe (15 ml) de fécule de maïs
2 œufs
2 tasses (500 ml) de lait
2 c. à thé (10 ml) d’extrait de vanille
50 g de brisures de chocolat
Méthode :
Pour la crème pâtissière
Dans une casserole, hors du feu, mélanger le sucre et les œufs à l’aide d’un fouet. Ajouter la farine et la fécule et bien mélanger. Incorporer le lait, la vanille et le chocolat en remuant.
Porter à ébullition à feu moyen en remuant et en raclant le fond de la casserole. Laisser frémir environ 1 à 2 minutes. Veiller à ce que le chocolat soit fondu et que le mélange soit homogène.
Verser dans un récipient. Couvrir d’une pellicule de plastique directement sur la surface de la crème pâtissière. Réfrigérer jusqu’à refroidissement complet, soit environ 2 à 3 heures.
Pour les crêpes
Pour préparer 8 crêpes, combiner le mélange à crêpes Cora avec le lait (ou la boisson végétale) dans un bol.
Mélanger vigoureusement à l’aide d’un fouet jusqu’à ce que la préparation soit lisse et homogène.
Huiler légèrement une petite poêle antiadhésive et chauffer à feu moyen vif. Ajouter 1/4 de tasse (60 ml) du mélange au centre de la poêle et faire pivoter la poêle pour répandre le mélange uniformément.
Lorsque le rebord se décolle facilement et commence à dorer, après environ 1 minute, retourner la crêpe à l’aide d’une spatule et poursuivre la cuisson 30 secondes ou jusqu’à cuisson complète. Retirer la crêpe de la poêle.
Préchauffer le four à 300 ° Placer les crêpes dans des bols allant au four préalablement huilés (une crêpe par bol). Enfourner pour 15 à 20 minutes, le temps de faire durcir les crêpes. Une fois les crêpes refroidies, démouler et réserver.
Couper les fraises en lanières et mélanger les fruits dans un saladier.
Dans le fond du bol de crêpe, déposer 60 ml de crème pâtissière et recouvrir du mélange de fruits.
Décorer avec la crème fouettée, les feuilles de menthe et un chocolat After Eight.
Bon Appétit!
La mer était calme, mais dans ma tête, un millier de poissons géants grugeaient mes méninges. Quelle folie que cette croisière! Surtout ces temps-ci, alors que toute notre vaillante équipe du bureau s’affaire à revigorer notre image, à composer de nouveaux plats et à élaborer des surprises pour vous enchanter. Pourquoi donc suis-je partie? Tout probablement pour tenter de lâcher prise et de laisser le champ libre à la panoplie d’experts qui m’entoure.
Malgré le petit balcon, une vue incomparable, le doux roulis des vagues, le grand lit king, six gros oreillers juste pour moi, et une télé presque aussi grande qu’un écran de cinéma, je m’ennuyais de mon monde du café matinal avec mes vieux amis, de mon iPad, de mes pages blanches à noircir et de réaliser les projets qui, comme toujours, dansaient dans ma caboche.
Tout mon entourage m’avait pourtant encouragée à prendre le large et à me reposer en découvrant non seulement l’Alaska, ses immenses glaciers et ses superbes totems, mais aussi les gigantesques buffets flottants, les mille et une pâtisseries envoûtantes et l’armada de restaurants du bateau où je m’attablais comme si j’étais la vieille reine d’Angleterre. Tout était merveilleusement bon et, pourtant, je trouvais le temps long devant toute cette bombance.
Toute ma vie, j’ai eu faim de vivre et soif de partager mes projets avec mes enfants, mes proches, mes collègues et tous ceux qui aiment mon gros Soleil jaune. J’ai arpenté le grand navire de long en large, mais je ne me suis pas laissé tenter par son casino ni par ses spectacles en soirée. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de divertissement. Sur cet immense palais mouvant, j’ai expérimenté la chose nommée « vacances » et je dois avouer que le travail, l’écriture, les projets imminents et le constant désir d’améliorer mon destin me manquaient terriblement. Être en affaires, c’est comme tricoter lorsqu’on en raffole; on n’arrête jamais. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Progresser, peu importe le projet, réchauffe mes vieux os.
La plupart des passagers étaient des couples, habitués aux croisières, à la vie de pacha, aux différents forfaits d’alcool et aux repas festifs. Et moi, je tournais en rond. Dans les ascenseurs, je montais, je descendais, je me trompais chaque fois de palier. Je mélangeais le sud et le nord. Un jeune Pakistanais en uniforme m’a pourtant expliqué la différence entre « tribord et bâbord ». Où se trouvaient donc les musiciens, les chanteurs, les magiciens? Où étais-je, si loin de mon gros Soleil?
Le bateau était immense, peut-être aussi gros que la ville de Québec avec ses banlieues. Sur cette île flottante, je perdais mes repères. Même lorsque la lune se montrait avec ses milliards d’étoiles, le navire ronronnait aussi vrai qu’une ville de rêves, de jeux et d’immenses mangeailles.
J’avais l’impression que ce voyage idyllique n’attirait que les têtes blanches. Certes, il y en avait beaucoup, mais c’est le grand nombre de familles asiatiques qui m’a le plus surprise, lesquelles comprenaient souvent une vaillante grand-mère pour garder les petits. J’aurais eu besoin moi aussi d’une nounou pour me raconter une histoire avant de m’endormir. Aurais-je mangé trop de sucreries?
Après deux jours consécutifs en mer, nous avons finalement mis pied à terre et marché plus de trois kilomètres pour atteindre le petit village de Sitka où nous avons admiré plusieurs totems et félicité les quelques artisans sculpteurs à l’œuvre devant les touristes. Le micro-village de pêcheurs m’a fait penser au plus pauvre village de ma Gaspésie natale : une église en bois, un cimetière bric-à-brac et des bateaux de pêche usés et vétustes à profusion.
Bien sûr, à chaque arrêt du bateau, les touristes se ruaient sur les tréteaux de bébelles. Des bas, des casquettes, des chandails identifiés ALASKA et des ours polaires ou des baleines miniatures de tout acabit. J’ai moi-même reluqué, tâté et examiné un beau châle orné de dessins inuits. Je l’ai pourtant replacé parce qu’une jeune Américaine le voulait. Tous ces petits villages que nous avons visités s'avéraient quasi identiques et avaient tous la même fonction : attirer les touristes et gagner quelques sous.
En soirée, je retrouvais mon groupe et nous soupions tous ensemble, toujours au même restaurant dont le menu changeait quotidiennement. Vous connaissez déjà mon penchant pour les produits de la mer. J’ai profité du festin qui s’offrait à nous. Je me régalais de soupe à l’oignon ou de chaudrée de palourdes et de délicieuses assiettes de poisson presque chaque soir. L’extraordinaire service m’éblouissait : les tables impeccablement dressées, les corbeilles de petits pains tous plus savoureux les uns que les autres, les boules de beurre parfaitement rondes et la magnifique verrerie.
Une copine de mon groupe de Québécois m’apprit que le bateau abritait plus de deux mille passagers et que quelque mille employés se tenaient à notre service. Tout, absolument tout, était parfait, tellement bien coordonné, comme si une baguette magique gouvernait le navire. Le cinquième ou sixième jour en mer, nous nous sommes enfin approchés des glaciers géants. C’était presque incroyable d’admirer ces montagnes glacées immortalisées en photo par tous ceux qui s’en sont approchés.
Emmitouflée sur le plus haut pont extérieur du bateau, mes yeux dévoraient le paysage. Devant nous, des millions de clics clics photographiaient ces majestueuses beautés. Le vent soufflait et mon nez coulait allègrement. Lorsqu’enfin un banc de baleines approcha; elles sortirent leurs têtes de l’eau et tous les passagers applaudirent à l’unisson.
Ce spectacle grandiose emplit mon cœur de souvenirs. Peut-être était-ce la première fois que la nature m’émouvait autant. L’immense paquebot fit ses adieux aux glaciers bleu-mauve, tourna sur lui-même et reprit sa course vers le nord. Les passagers qui étaient restés dehors ont tous eu droit à un délicieux chocolat chaud ou à une soupe ramen au poulet.
Je faisais partie d’un groupe de trente-deux Québécois, tous mariés, sauf Aline et moi qui étions des célibataires endurcies depuis très longtemps. Bien sûr, j’ai beaucoup hésité à partir toute seule et je crois fermement qu’avec un amoureux, les glaciers auraient fondu plus rapidement. Quoi qu’il en soit, j’emprunte à ma manière la fameuse phrase de Jules César en 47 avant J.-C. :
« Veni, Vidi, Vici ».
J’y suis allée, j’ai vu et je suis revenue.
Cora
❤️
J’avais 20 ans et 153 jours lorsque j’ai rencontré l’homme qui deviendrait mon mari. Oie blanche, candide et timide, j’avais reçu une éducation classique chez les religieuses. Plutôt intellectuelle, je ne connaissais rien des plaisirs de la vie. Tout ce qui comptait pour moi était de me rendre à la Sorbonne de Paris où j’avais réussi à être admise pour devenir écrivaine, ce que je souhaitais à tout prix. À bien y penser, qu’aurais-je donc écrit, dites-le-moi, si je n’avais pas rencontré cet énergumène d’homme qui a bousillé treize années de ma vie de jeune femme?
Je l’avoue, sa beauté remarquable m’avait séduite. Moi qui avais étudié l’ancienne civilisation grecque, des statues d’Adonis j’en avais vu des centaines. Mais l’homme qui m’avait attirée sur la piste de danse était bien vivant. Même si ma copine était plus de son goût, une fois résigné à moi, il me regardait droit dans les yeux et mon cœur fondait comme neige au soleil. Je n’avais jamais dansé de ma vie et, pourtant, j’ai laissé son bras prendre ma taille et tout doucement me tirer vers lui.
J’aurais dû m’en douter. Dans l’histoire ancienne que j’ai étudiée, Adonis courtisait à la fois Aphrodite et Perséphone. Imaginez-vous donc que le grand Zeus, roi des dieux, dût trancher la rivalité : Adonis passerait quatre mois de l’année avec chacune et quatre mois avec la personne de son choix. Voilà, à peu de choses près, ce que l’homme faisait en me cachant ses multiples déesses.
Alors que j’étais enceinte d’un troisième enfant, le mari m’avait forcée à tout abandonner à Montréal pour aller vivre en Grèce où il croyait qu’il trouverait facilement un emploi et que l’argent coulerait à flots. Ne savait-il pas que tous les hommes de son âge avaient quitté leur village natal pour immigrer vers des pays plus prometteurs? Nous venions de passer près de dix mois à Krya Vrysi et nous ne possédions rien de plus qu’à notre arrivée, sauf une nouvelle bouche à nourrir. La belle-mère avait finalement convaincu son fils de retourner auprès de ses deux frères à Montréal en promettant qu’elle et sa fille viendraient nous rejoindre pour que je puisse travailler pendant qu’elles s’occuperaient des enfants.
Dans ma caboche, le désordre d’émotions s’amenuisait. Mon petit cœur pouvait enfin anticiper le meilleur. Lorsqu’enfin arriva l’argent des frères du mari, l’homme s’empressa de courir à Thessalonique pour réserver nos billets d’avion. Ma belle-sœur pleurait, sa mère bougonnait, et moi j’étais folle comme un balai. Les deux plus vieux comprenaient que nous retournerions dans le pays de « papou » (le grand-papa québécois) et ils sautaient de joie.
En allant chercher un pain, j’ai revu l’ami Thanassis qui remplaçait son père au comptoir de la boulangerie. J’étais hyper contente de le voir.
— « Quand partez-vous? »
— « Je ne connais pas encore la date exacte, mais le mari m’a promis que ce serait dans moins de dix jours. »
— « Ton mari, avança Thanassis, prendra assurément son temps pour barguigner le prix des billets. Tout le monde le fait avec Olympic Airlines. D’ailleurs, pour un homme aussi prétentieux et exceptionnel que lui, ça devrait certainement marcher! »
Quant à moi, j’étais contente et heureuse. Mon cœur battait la chamade tellement j’avais hâte de retourner au Canada. J’allais retrouver l’eau courante à la maison, le chauffage électrique, le téléphone, une machine à laver et, bien sûr, un téléviseur. Tout ceci compenserait amplement le fait de ne pas nous être baignés dans la mer Égée. L’hiver canadien avale toute la végétation, mais la neige épaisse nous permet de nous promener en traîneau.
Dans les villages grecs, en 1972, la plupart des maisons avaient des toits plats où l’on installait une ou deux cordes à linge dépendant du nombre de résidents. La dernière lessive avant notre départ s’avéra pour moi très difficile. Le vent de novembre me mordait les doigts alors que j’étendais le linge mouillé, lavé et essoré à la main. Raison de plus de vouloir partir le plus vite possible au lieu de m’user la peau jusqu’aux os! J’étais soulagée de rentrer au pays.
De retour au Canada, nous allions aussi retrouver le crémage sur les gâteaux, le pouding chômeur, les hot dogs « steamés », la moutarde, le ketchup, les frites et les patates pilées, le pâté chinois, les guimauves, le blé d’Inde en conserve, la mayonnaise, le beurre de « peanut », le caramel, le pain tranché pour faire de bons toasts, les grosses citrouilles décorées et les bonbons d’Halloween. Si nous nous pressions, peut-être verrions-nous dans les parterres et sur les devantures de maisons des sapins de Noël remplis de boules multicolores.
En arrivant à Thessalonique, il n’était plus question de prendre l’avion. Nous nous rendrions plutôt à Athènes en autobus et j’ai tout de suite eu peur. Je repensais à notre vieux chauffeur fou qui avait embouti un camion d’oranges. Heureusement, nous nous en étions sortis avec une bonne frousse, mais rien de plus. Cette fois, un jeune chauffeur s’assit au volant et je me suis calmée. J’avais les deux plus vieux collés chaque côté de mon corps et le tout petit endormi dans mon cou. J’ai commencé à leur fredonner « À la claire fontaine », mais le mari m’en a vite empêchée. Oui, oui! Je devais toujours parler aux petits en grec, même en chantant!
Les brigadiers de l’aéroport d’Athènes ont bien voulu nous offrir une platée de phrases rassurantes, mais dehors, un vent à écorner les bœufs faisait peur aux voyageurs. Le mari avait assis les deux plus vieux dans un grand chariot de magasinage avec nos deux valises. Le tout-petit dans mes bras n’arrêtait pas de pleurnicher. Dans la salle d’attente, tous les passagers semblaient inquiets. J’entendais les conversations et mon angoisse bondissait chaque fois d’un cran. Un certain vent très puissant nommé « Bora » terrorisait régulièrement la mer Égée et empêchait les avions de décoller.
Nous avions soif. Nous avions faim. Nous avions peur. Arriverions-nous à bon port? Le mari fumait une cigarette après l’autre et je récitais des « Je vous salue Marie ». Il nous fallut attendre au lendemain pour finalement partir. Tous les passagers à destination de Montréal, sauf probablement ceux voyageant en première classe, ont dormi sur des petits matelas de secours ou sur les bancs de la salle d’attente. Nous allions finalement quitter la Grèce. Le rêve du mari de travailler peu et de devenir riche ne se concrétiserait jamais.
Le lendemain matin, nous sommes embarqués dans l’oiseau géant et je me suis empressée de remercier le grand manitou. Puis, j’ai invoqué sa clémence pour qu’il m’aide à m’éloigner de l’époux. Il m’était impossible de me développer dans une atmosphère hostile où je n’étais ni reconnue ni appréciée. J’aspirais à vivre dans un monde plus noble, plus vertueux et plus généreux. Un monde où règne la bonté, la gentillesse, l’amour, le courage et la compassion. Je me savais honnête et vaillante et capable de me trouver un emploi pour nourrir mes petits.
Comme vous le savez sans doute, j’en avais encore pour quelques années à subir les affres du mari. Précisément jusqu’à un certain jour de novembre 1980. J’étais mariée depuis 13 longues années et, ce matin-là, mes enfants et moi avons pris notre courage à huit mains et nous nous sommes enfuis du logis pour toujours. Je venais enfin d’émerger de mon cauchemar.
Que reste-t-il à dire de ce fameux voyage en Grèce? L’Office national hellénique du tourisme vous dirait que « tous les touristes du monde qui visitent ce magnifique pays en reviennent éblouis ».
Essayez pour voir!
Cora
❤️
Je croupissais depuis presque huit mois dans la maison de la belle-mère sans eau courante ni chauffage électrique, au cœur d’un village pauvre et déserté par toute la jeune population.
Dans l’immense courtepointe du monde, les anges entre-tissent souffrance et beauté, espoir et désarroi. Toutes les laines qui cousent l’ouvrage ont les couleurs de l’humanité. Nous, les humains, sommes des œuvres en cours de création, continuellement. Ce matin, je me demande ce qui m’est le plus difficile à avaler : mes erreurs de jugement, mes convictions erronées ou cet affreux mariage auquel j’ai consenti parce qu’un enfant grouillait dans mes entrailles. Jeune fille, j’avais pourtant une confiance illimitée dans l’avenir. Je me souviens, avec grand-père Frédéric, nous installions des collets pour capturer un ou deux lièvres pour notre souper. J’adorais ces balades en forêt! Mariée, je suis devenue le lièvre dans le collet.
Peu après avoir donné naissance à mon petit dernier, j’avais commencé à avoir des nausées et je me doutais bien pourquoi, mais je n’en avais pas glissé un mot à personne. Puis, 40 jours après l’accouchement, lors de l’examen de suivi obligatoire, l’homme s’était arrangé avec le médecin pour m’endormir et m’avorter sur le champ. Je ne lui ai jamais pardonné. Ce mari entrait en moi comme un petit serpent domestique dans une fissure. Ensuite, il fumait deux, trois cigarettes, s’habillait et partait s’amuser. Avec lui, mon cœur s’éteignait à petit feu. Je n’ai jamais pu contrecarrer les décisions du mari; ni m’élever au-dessus des besoins primaires du foyer pour réussir à expérimenter d’ineffaçables moments de grâce avec mes enfants. Pour sûr, j’aimais mes petits, je les chouchoutais et les chérissais et ils m’aimaient comme des petits chats qui ont besoin de lait, de chaleur et de caresses pour survivre. Ils me gardaient en vie.
Après le sermon de sa mère, l’homme voulut juste plier bagage et déguerpir. Sa mère, sa sœur et moi étions très surprises, mais heureuses de sa réaction. Le mari, les enfants et moi retournerions à Montréal en premier trouver un logis et ensuite faire venir la belle-mère et sa fille. Pauvre mari, la vraie vie le déprimait comme un glaçon qui fond. Indubitablement, les dieux grecs n’ont pas tous enfanté des « Zorba le Grec » qui prennent la vie du bon côté et passent leurs émotions par la danse. Ce personnage plein d’entrain issu de l’œuvre originale « Alexis Zorba » de l’écrivain grec Nikos Kazantzakis fit d’ailleurs l’objet d’un film. Lorsqu’aux petites heures du matin le mari dansait et faisait la fête, il devait être aussi heureux que le personnage de Zorba, mais je n’en étais jamais témoin. De mon temps, ces mâles grecs discutaient, sortaient et dansaient entre hommes uniquement. La plupart travaillaient dans la restauration et festoyaient comme ces précieux rois de l’antique Grèce.
Étant moi-même beaucoup plus réaliste, j’avais mal à l’idée que personne ne nous aiderait à recommencer en sol québécois. Comme le mari s’était débarrassé du peu de meubles que nous possédions avant de mettre le cap sur la Grèce, il faudrait repartir à zéro. Les belles-sœurs de Montréal m’avaient prédit que nous retournerions rapidement au Canada. Elles se doutaient, et avec raison, que nos grosses valises arrivées par bateau n’avaient pas été ouvertes. L’homme allait devoir les renvoyer à Montréal par le même chemin.
L’inquiétude et la peur me rongeaient. Je me demandais si l’époux aurait assez d’argent pour assurer notre retour au pays. Il fallait prévoir les billets d’avion ainsi que le transport par bateau des valises qu’on venait récemment de nous livrer. En plus, nous avions besoin d’un papier officiel pour quitter le pays avec notre tout-petit né en Grèce. Ce document ne devait pas être un acte de baptême pour lui éviter plus tard le service militaire obligatoire. Début novembre, le mari se rendit deux fois au consulat canadien d’Athènes et a finalement réussi à inscrire le petit Nicholas sur son passeport.
« Il n’est pire servitude que l’espoir d’être heureux », a écrit Carlos Fuentes. J’espérais une vie meilleure comme on espère la pluie en plein désert. L’ami Thanassis s’était éloigné depuis son voyage catastrophique avec le mari à Cologne et je n’avais plus personne à qui parler. L’homme attendait l’argent de ses frères pour acheter nos billets d’avion. Je ressentais une combinaison de honte et de peur. En berçant mon tout petit, de grosses larmes glissaient sur mes joues, tombaient sur les cuisses du bébé, sur ma vie inondée de petits malheurs quotidiens. Arriverions-nous à trouver un bon logis pour mes enfants et assez grand pour éventuellement accueillir la belle-mère et la belle-sœur? Une école sera-t-elle disposée à accueillir le plus vieux en janvier?
Je me sentais comme une toupie qui tourne sans cesse en essayant de se maintenir en équilibre. Plier ceci, donner ce qui n’allait plus aux enfants, repriser ou repasser cela; j’en oubliais de saler la soupe en la cuisant. Ma belle-sœur Despina essayait de me calmer puis, lorsque le tout-petit avait bien tété, elle m’expulsait de la maison pour que je puisse me changer les idées. Un certain dimanche, je profitai de l’occasion. J’empruntai le foulard de la belle-mère et me rendis à l’église du village. Le pope grec m’a bien accueillie.
— « Koritsi mou (ma fille), que puis-je faire pour t’aider? Je sais que tu as trois petits enfants, une belle-mère et une belle-sœur.
— « J’ai aussi un mari, un fainéant qui se croit sorti de la cuisse de Jupiter. »
— « Ton nom, c’est bien Cora? »
— « Oui, mon nom de baptême catholique est Marie Antoinette Cora. »
— « Ça ressemble au nom de la reine guillotinée en octobre 1793. »
Je voulus répondre au pope que le licou était déjà bien serré autour de mon cou depuis mon mariage obligé, mais je me suis retenue. Après quelques échanges, l’ecclésiastique trempa son doigt dans une eau bénite et traça une croix sur mon front en murmurant « Va en paix, jeune femme. »
Où diable se trouvait cette paix promise aux femmes de bonne volonté?
À SUIVRE…
Cora
❤️
Rendement : 8 crêpes
Ingrédients :
1 1/3 tasse (200 g) de mélange à crêpes nature Cora
1 1/3 tasse (325 ml) de lait (ou boisson végétale)
Quantité suffisante de sucre (pour brûler)
Crème pâtissière
1/2 tasse (125 ml) de sucre
1/4 tasse (60 ml) de farine tout usage
1 c. à soupe (15 ml) de fécule de maïs
2 œufs
2 tasses (500 ml) de lait
2 c. à thé (10 ml) d’extrait de vanille
Méthode :
Pour la crème pâtissière
Dans une casserole, hors du feu, mélanger le sucre et les œufs à l’aide d’un fouet. Ajouter la farine et la fécule et bien mélanger. Incorporer le lait et la vanille en remuant.
Porter à ébullition à feu moyen en remuant et en raclant le fond de la casserole. Laisser frémir environ 1 à 2 minutes.
Verser dans un récipient. Couvrir d’une pellicule de plastique directement sur la surface de la crème pâtissière. Réfrigérer jusqu’à refroidissement complet, soit environ 2 à 3 heures.
Une fois refroidie, verser la crème dans une bouteille à pression (pipette)
Pour les crêpes
Pour préparer 8 crêpes, combiner le mélange à crêpes Cora avec le lait (ou la boisson végétale) dans un bol.
Mélanger vigoureusement à l’aide d’un fouet jusqu’à ce que la préparation soit lisse et homogène.
Huiler légèrement une petite poêle antiadhésive et chauffer à feu moyen vif. Ajouter 1/4 de tasse (60 ml) du mélange au centre de la poêle et faire pivoter la poêle pour répandre le mélange uniformément.
Lorsque le rebord se décolle facilement et commence à dorer, après environ 1 minute, retourner la crêpe à l’aide d’une spatule et poursuivre la cuisson 30 secondes ou jusqu’à cuisson complète. Retirer la crêpe de la poêle.
Plier les crêpes en deux, de façon à former une demi-lune, puis replier dans le sens contraire afin de former un triangle. Déposer les crêpes une par une dans l’assiette. À vous de décider la disposition et le nombre de crêpes dans l’assiette.
À l’aide d’une bouteille à pression, recouvrir la surface des crêpes avec la crème pâtissière et saupoudrer la crème de sucre.
Caraméliser à l’aide d’une petite torche de cuisine. Décorer comme vous le souhaitez.
Bon appétit!
Nous étions en Grèce depuis plus de sept mois. Le mari ne s’était toujours pas trouvé d’emploi. Il était rentré bredouille de son voyage en Allemagne.
Je n’ai jamais voulu être un prophète de malheur, mais j’ose dire que tout ce qui est arrivé, je l’avais pressenti. Un homme comme mon mari ne change pas en criant ciseau. Toute sa jeunesse, selon sa sœur Despina, il courait après les plus belles filles du canton. Il les attrapait toutes parce qu’il était lui aussi le plus beau Roméo du village. Comme il a dû faire son service militaire, il est devenu encore plus attirant à titre d’officier de l’armée de terre.
Un peu après notre mariage, ce Casanova m’avait même confié que l’amour de sa vie était une certaine Helena, enseignante, mère de deux enfants et élue la plus belle femme de son village trois années d’affilée. Était-il allé la visiter durant notre séjour? Lui avait-il parlé une fois, deux fois, trois fois? Je n’ai pu me retenir et j’ai demandé à ma belle-sœur Despina si mon mari avait visité son ancienne flamme depuis notre arrivée. Elle m’a répondu qu’il l’avait effectivement vue, « mais seulement deux fois puisque son mari, Theodoros, était encore jaloux de lui comme un tigre ».
Le mari avait certainement oublié de me le dire. De toute façon, il ne m’avait rien dit depuis son retour de Cologne. Qu’avait-il fait là-bas pendant trois semaines? Avait-il trouvé des opportunités de travail? J’en doutais. Un kiosque à pizza ou à souvlaki à gérer? Contremaître dans une manufacture? De toute façon, rien ne serait à la hauteur de ses attentes. Allait-il finalement me dire comment nous allions vivre avec deux vieilles femmes et trois enfants à la maison?
Il n’y avait pas d’école anglaise ni française à Krya Vrysi et les deux plus vieux ne faisaient que baragouiner le grec. De toute façon, le mari avait-il encore l’idée de rester en Grèce? Ses blanches mains n’iraient certainement pas aider les gitans à récolter le coton. J’étais au bout du rouleau, moralement épuisée, découragée, brisée et totalement déçue. Bientôt, j’allais devoir vendre quelque chose pour acheter des chemisettes au tout petit qui grandissait. Mon alliance, peut-être? De toute manière, je ne voulais plus la porter. J’essayai de me calmer au lieu de pleurer. Je pris le tout petit dans mes bras et le berçai dans la chambre du haut. L’enfant gazouilla et s’endormit. Le temps froid et pluvieux me donnait le cafard. Était-ce le bon moment pour parler de notre avenir au mari? Dormait-il encore?
Finalement, ce fut sa mère qui parla la première.
— « Yavrum » (enfant chéri), la vie au village est de plus en plus difficile. Nous n’avons pas assez d’argent pour installer l’eau courante ni le chauffage électrique. Quant au bois, même Despina est trop vieille pour fendiller les bûches. Nous avons un trop grand jardin à désherber. Comme nous avons bon cœur, nos légumes aboutissent généralement sur la table des voisins. Toutes les jeunes grand-mères partent en Amérique pour aider les enfants de leurs enfants. Et nous, nous voulons faire comme elles! Despina et moi voulons aller vivre en Amérique. Tes deux frères y gagnent bien leur vie et ils nous aideront. Yavrum, para calo (enfant chéri, s’il te plaît), allons à Montréal au plus vite et Despina cuira un bel agneau pour fêter nos retrouvailles, tous ensemble. »
Et moi, en bonne épouse québécoise que j’étais, je m’empressai d’ajouter que je cuisinerais mes spécialités grecques : « Je ferai des feuilles de vigne, ma traditionnelle soupe « youvarlakia » (soupe aux boulettes de viande et de riz dans une sauce aux œufs et citron), des feuilletés aux épinards, de délicieux « kourabiedes » (biscuits aux amandes et au beurre) et des baklavas. La belle-sœur ne manqua pas de renchérir elle aussi en disant qu’elle serait très heureuse de garder mes petits.
L’homme muet grilla une cigarette après l’autre jusqu’à ce que sa mère et sa sœur arrêtent de parler. Moi, comme la femme de Loth, je me suis transformée en statue de sel. Le yavrum à sa maman allait-il être d’accord pour retourner au Canada? Mes yeux se mouillaient, mon cœur s’affolait, tandis que le ciel là-haut devenait mauve et empli de beauté. Le bonheur serait-il un coup de chance? Un état qui nous tomberait dessus sans crier gare? Je me souviens de cette citation de Goethe apprise au collège : « Le plus pur bonheur du monde renferme un pressentiment de souffrance ».
Peut-être qu’en ce qui me concerne, la souffrance arriva la première. Mais le bonheur, j’essayais de m’en convaincre, arriverait plus tard. J’avais mal à mes yeux, mal à mon cœur et surtout mal à mon intelligence. Je pensais à tout ce à quoi j’avais dû renoncer depuis notre union : à mes grandes études, à l’écriture que j’aimais, à ma famille, à ma liberté et à ma propre gouverne. À titre d’épouse de ce dieu grec, sous son joug, je n’avais aucun droit, aucune autorité, ni véritable amour, ni intimité valable, ni la capacité de décider de quoi que ce soit. À quoi pourrais-je m’accrocher? Ce mariage se transformait en un licou serré, tellement serré qu’il m’empêchait de progresser.
À SUIVRE…
Cora
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Je ne savais vraiment plus quoi faire! J’étais toujours sans nouvelles du mari qui devait s’être rendu à Cologne pour tenter d’y trouver du travail. L’ami Thanassis qui l’accompagnait était rentré depuis quelques jours, mais aucune trace du mari. Au désespoir, je décidai donc de retourner à la petite bibliothèque du village parce que j’avais drôlement besoin de parler à quelqu’un qui ne connaissait rien de ma vie.
Toc, toc. La femme m’ouvrit la porte et me reconnut immédiatement.
— « Que puis-je faire pour toi, jeune fille? Tu me parlais de Cologne l’autre jour. As-tu appris la grande nouvelle? »
Un frisson me secoua. Apeurée, j’eus soudainement la larme à l’œil. Serait-il arrivé quelque chose au mari? Y avait-il une histoire sordide que j’ignorais? Je réussis à articuler « Est-il arrivé quelque chose à un étranger? ».
— « HENRICH BÖLL n’est pas un étranger! Natif de Cologne en 1917, il est considéré comme l’un des plus grands auteurs allemands de la période de l’après-guerre. Il habite toujours Cologne, cette fameuse ville dont tu cherchais la démographie il y a quelques semaines.
— « Pourquoi me parlez-vous de lui aujourd’hui? »
— « Petite demoiselle, parce qu’il vient tout juste de recevoir le prix Nobel de littérature! J’ai d’ailleurs deux ou trois livres de BÖLL traduits en anglais que je pourrais te prêter.
— « Merci, mais je ne lis qu’en français pour le moment. »
— « Mais tu parles très bien le grec! »
— « Je suis une Canadienne francophone, de Montréal. Je parle grec parce que j’y ai épousé un Grec originaire du village de Krya Vrysi. »
— « Et vous êtes ici en vacances? »
— « La vérité? Mon mari est revenu dans son village supposément pour toujours, mais depuis presque six mois, il n’a rien trouvé qui lui convenait pour gagner notre vie. »
— « A-t-il essayé quoi que ce soit? »
— « À notre arrivée, il a voulu exporter des flokatis, mais il a vite changé d’idée. Fainéant comme tout, il préfère fêter et n’aime pas travailler.
— « Pauvre petite, les paresseux du genre sont tous les mêmes! Nous, les vieilles, nous les connaissons comme si nous les avions tricotés. Je n’ai jamais eu de bébé, mais dans ma longue vie, j’en ai vu défiler des maris qui ont ramené de l’étranger de bonnes mamans avec deux ou trois bébés dans leurs bras. Oui, beaucoup de vaillants Grecs réussissent très bien en Amérique, mais tous les fainéants du monde, sous prétexte d’avoir le mal du pays, retournent pleurer dans le tablier de leur mère. N’est-ce pas ainsi que ça se passe pour toi? Combien d’enfants as-tu? Les informations au sujet de Cologne, c’était pour ton mari? »
Devant cette vieille femme philosophe, je remplis mon tablier de larmes. J’oubliai Cologne, Berlin, Hambourg et Munich. Jamais je n’apprendrais à parler l’allemand. Jamais je ne visiterais l’Église Notre-Dame de Dresde, jamais je ne goûterais un « apfelstrudel » (un strudel aux pommes). Plus jamais je ne laisserais le mari me toucher! Je le jurai.
De retour chez la belle-mère, la paire de souliers du mari me sauta aux yeux en premier. Je n’allais surtout pas y toucher, même s’ils étaient bariolés de boue séchée et que j’aurais dû les nettoyer. En entrant dans la cuisine, la belle-mère me chuchota que l’homme dormait à l’étage. Il était enfin rentré de son périple et, vingt jours après son départ, je n’avais plus du tout envie de le questionner. Qu’il aille au diable! Mes petits se trouvaient chez la voisine avec leur tante Despina. J’avais vraiment envie de grimper sur le toit de la maison et de me jeter dans le vide, mais j’ai hésité. J’aimais mes bébés et je courus les chercher tellement j’avais besoin d’affection.
Je les trouvai tous étendus sur le vieux flokati. Ils criaient, jouaient. Le tout petit bâillait de fatigue, mais il ne pleurait pas. Sur la table de la cuisine, un plateau de galaktoboureko (gâteau feuilleté à la semoule avec sirop aromatisé) et une carafe de thé attirèrent mon regard. Je n’avais presque rien mangé depuis deux jours et je dévorai le gâteau qu’elle m’offrit.
À la maison, l’homme dormait toujours comme un ours et, malgré ma très grande curiosité, je n’avais aucune envie de le réveiller. Je courus plutôt chez l’ami Thanassis et, Dieu merci, il s’y trouvait. Il n’avait pas grand-chose à me raconter puisque le mari et lui s’étaient disputés la troisième soirée après leur arrivée à Cologne. J’imaginais facilement pourquoi. Thanassis avait vite constaté que l’homme dormait jusqu’à midi chaque jour. Puis il se levait, se douchait, s’habillait et buvait quatre à cinq cafés pour ensuite trouver un comptoir pour avaler un souvlaki vers 15 h. « Avec lui, la journée débute vers trois ou quatre heures de l’après-midi! », s’exclama Thanassis.
Ce qu’il me dit ne me surprit absolument pas. J’avais pourtant espoir que, dans sa terre natale, le mari se dégourdirait enfin.
— « Je me doutais tellement qu’il allait reproduire la même routine qu’à Montréal! Je ne sais plus à quel saint me vouer. Nous sommes en Grèce depuis près de sept mois et le plus vieux est déjà en retard pour son année scolaire ».
À SUIVRE…
Cora
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Treize jours sans nouvelles du mari qui devait sans doute encore se trouver à Cologne dans l’espoir de décrocher un emploi. La belle-mère commençait à s’inquiéter pour son fils et pour Thanassis, l’ami de la famille qui l’accompagnait. Les deux voyageurs allaient-ils manquer de nourriture? Ma belle-sœur Despina se disait certaine, qu’à leur retour, ils nous surprendraient avec une bonne nouvelle. Elle et sa mère en avaient parlé. Elles consentaient à déménager en Allemagne et vivre avec nous. Despina garderait mes petits et je pourrais travailler pour aider.
Début octobre, les gitans cueilleurs de coton commençaient à arriver dans notre village de Krya Vrysi. Ils dressaient leurs tentes un peu à l’écart des habitations et creusaient un trou dans lequel les femmes et les grands enfants entretenaient le feu pour cuisiner et se réchauffer la nuit venue. Quelle expérience j’ai vécue! Dès qu’ils ont été installés, je leur ai rendu visite en apportant une dizaine de brioches du lendemain du boulanger. Les femmes et les enfants se sont tous régalés. Même les tout-petits tiraient sur ma jupe pour y goûter.
Après plus de six mois d’attente, les cinq valises dans lesquelles j’avais mis tous nos pénates et que le mari avait expédiées par bateau en Grèce étaient finalement arrivées. Puisque le mari se trouvait à l’extérieur du pays, Despina et moi avons pris un arrangement pour faire livrer les valises chez ma belle-mère. Mais je ne les ai pas ouvertes. N’allions-nous pas repartir bientôt, aussitôt que nos deux prospecteurs reviendraient de Cologne avec une bonne nouvelle? Nous, les trois femmes de la maison, nous nous inquiétions et priions en silence, mais nous espérions comme on espère que l’été se pointe le bout du nez. Je n’ai jamais oublié ce verset de Matthieu : « Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain prendra soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. »
Cette peine, cette cruelle attente, démolissait l’espoir en moi. Peut-être l’homme avait-il rencontré une quelqu’une? En 1972, nous ne disposions pas de ces téléphones portables capables de sauver une vie, la mienne peut-être. J’avais soudainement si peur du pire que je ne pouvais pas partager ce sentiment ni avec ma belle-sœur ni avec ma belle-mère. Encore une nuit, j’ai essayé de dormir collée à mes bébés, mon sein réchauffant le tout-petit. Mille idées affreuses s’infiltraient dans ma tête et j’essayais de les combattre. Je voulais m’enfuir, découvrir cette terre promise que le grand manitou m’avait réservée quelque part.
Le lendemain, épuisée, amochée, découragée, je me suis levée et j’ai réchauffé une grosse cruche d’eau pour laver mes bébés. Je les ai habillés, dorlotés, peignés et confiés à la belle-sœur pour une petite heure. Puis, je me suis rendue chez le boulanger en souhaitant l’interroger. L’homme revêtait son habituel grand tablier blanc. Je lui ai demandé si son fils Thanassis, qui voyageait avec mon fainéant de mari, lui avait donné signe de vie. Savait-il quand les deux voyageurs allaient revenir?
Le boulanger avala sa langue et ne dit rien. J’ai dû brailler à chaudes larmes pour qu’il se décide à cracher le morceau. Thanassis était rentré depuis trois jours avec l’interdiction formelle de nous en informer. J’ai cru m’effondrer.
— « S’il vous plaît, monsieur, puis-je parler à votre fils? »
— « Il est à Véria (village voisin) pour acheter une nouvelle levure à croissant. »
En pleurnichant, je lui ai répondu que mes enfants et moi aimions beaucoup ses croissants et que je lui offris toute ma reconnaissance pour m’avoir révélé la vérité et je le remerciai pour toutes les brioches et les pains invendus de la veille qu’il m’offrait si généreusement.
Chaque famille avance à son rythme, mais la mienne reculait et risquait de s’effondrer. Arrivée à la maison, je suis montée sans un mot à l’étage et j’ai câliné le tout-petit qui dormait comme un ange. Accroupie sur le plancher de la cuisine, ma belle-sœur lavait ses draps et ceux de sa mère à la main dans un grand seau. Sur un rond allumé, un chaudron d’eau commençait à frissonner. Ensuite, Despina étendrait les draps dehors et s’occuperait du linge des petits. Comme dans une vraie famille, nous nous entraidions.
J’avais le caquet bas et j’étais complètement dépitée. J’ai voulu parler à la belle-mère, mais je me suis retenue. Où diable se trouvait le mari? Je devais attendre que Thanassis revienne au village pour lui parler. J’ai endimanché les deux plus vieux et nous sommes allés sur la rue principale, dans un café qui servait des pâtisseries, et nous y avons partagé un petit baklava. Cette délicieuse gâterie nous a redonné un peu de pep.
J’aimais ma belle-mère et sa fille, mais j’en avais par-dessus la tête d’attendre un homme qui n’était ni un mari ni un père. Je l’ai vu une seule fois avec un enfant dans ses bras. J’en conclus finalement qu’il ne nous aimait pas. Jamais cet homme ne m’a câlinée, protégée, encouragée, félicitée, aimée. Je ne l’ai jamais vu non plus témoigner de l’affection aux petits ni passer du temps à jouer avec eux. Voilà la vérité pure et dure.
J’étais candide et naïve lorsque je l’ai rencontré. Il m’a vite déflorée sans que je réalise que ce qui se passait était la façon dont on faisait les bébés… et un petit garçon est arrivé neuf mois plus tard. Pendant qu’il volait mon innocence, aucune goutte de sang n’a taché le drap. Il m’a accusée à tort, et pour le reste de notre vie conjugale, d’avoir perdu ma virginité avant notre première rencontre.
L’homme aurait voulu que je me fasse avorter, mais j’ai refusé. Ses deux frères l’avaient donc obligé à m’épouser et j’ai dit oui. Ce OUI, je l’ai rapidement regretté et il m’empoisonne goutte à goutte chaque fois que je pense à lui, même après plus de 50 ans. Mon plus grand malheur ici-bas, c’est de l’avoir rencontré.
Pendant que je me morfondais dans le fond d’un village pauvre et quasi désert de la Grèce, que faisait le mari en Allemagne? D’ailleurs, s’y trouvait-il réellement? Pourquoi son compagnon de voyage était-il rentré sans lui? Non seulement je regrettais certains de mes choix de vie, mais je maudissais tout ce qu’il m’imposait.
À SUIVRE…
Cora
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L’ami Thanassis a tellement insisté que mon mari a finalement accepté d’entreprendre une petite virée en Allemagne! Tellement de Grecs s’y rendaient pour d’abord s’acclimater et examiner les opportunités, puis pour s’installer dans les plus grandes villes du pays où chaque coin de rue grouillait de commerces. Ces arrivants étaient presque certains de gagner de l’argent, autant comme manœuvre dans les manufactures qu’en tant que commerçants en guenilles ou en restauration rapide.
« Quelle est la meilleure ville à visiter? », demandai-je. Thanassis répondit que presque toutes les villes allemandes se révélaient prospères et attirantes. Un cousin à lui avait ouvert un comptoir de souvlakis à Cologne en juillet 1965 et, sept ans plus tard, il en possédait huit et roulait sur l’or.
Je me suis donc rendue à la petite bibliothèque du village pour essayer d’en apprendre davantage sur la ville de Cologne. J’aimais le nom et tout probablement que j’aimerais sa senteur. Toc, toc, toc. Une vieille femme de presque 100 ans m’ouvrit la porte.
— « Ti thelis, koritsi mou? » (Que veux-tu, jeune fille?) Je lui expliquai le but de ma visite. La bibliothécaire sortit une fiche d’un classeur en bois aussi vieux qu’elle.
— « Tout est délabré dans cette vieille maison, jeune fille, mais nos fiches sont actualisées aux cinq ans pour les pays étrangers. En 1970, la ville de Cologne comptait 1 073 096 habitants. »
— « Pourriez-vous, chère dame, me dire combien de kilomètres il faut rouler en voiture pour aller de Thessalonique à Cologne? »
— « Demandez à monsieur le maire. Il s’y rend deux fois par année pour visiter sa fille et ses trois petits-fils. »
J’avais tellement envie de faire ce voyage avec les deux hommes, mais c’était impensable. Trois bébés comptaient sur moi à la maison! Thanassis m’apprit que la distance entre Thessalonique et Cologne s’élève à 2157 kilomètres, représentant environ 20 heures de route, en plus de centaines de kilomètres pour visiter la ville de fond en comble.
De plus, la langue allemande est particulière. Elle n’est pas assise sur le bout de la langue, mais cachée au fond de la gorge. Ses tonalités sont rauques, gutturales, rudes et rocailleuses comme des petits cailloux qui déboulent d’une montagne. « Thanassis parle-t-il allemand? », demanda le mari.
Sous l’œil attentif de la belle-mère, ma belle-sœur Despina et moi avons préparé un panier de victuailles pour nos grands voyageurs. Des feuilletés aux épinards, des feuilles de vigne farcies à la viande, des tranches d’aubergines rôties, des betteraves marinées, du feta, du « basturma » (de fines tranches de bœuf fortement pressé et séché) dont le mari raffolait, une dizaine de brochettes de poulet à l’origan et, bien entendu, un gros kilo de tzatziki que j’ai moi-même concocté en y ajoutant des râpures de chair de concombre bien frais.
À cet instant, j’ai vécu l’étrange bonheur de réaliser que mon cœur ne se décourage jamais, il ne fait qu’espérer. J’ai profité de l’absence du mari pour convaincre sa mère, un peu chaque jour, de venir s’installer au Canada avec Despina. La vie dans le village s’avérait très difficile sans homme à la maison. Les bras des quelques voisins et cousins ne suffisaient pas pour entretenir les deux étages cimentés de la vieille demeure. Chaque soir, je berçais mes bébés en priant très fort pour que nous puissions partir de ce village presque déserté. Que la foudre m’emporte, mais si je n’avais pas d’enfant! Et pourtant, ils étaient ma chair, mon cœur, mes pensées et mes yeux qui, peu à peu, s’asséchaient de larmes. Le mari parti, mes trois petits et moi couchions au milieu du lit et rêvions que nous nous trouvions au paradis.
Le lendemain matin, en se rendant à la poste, Despina apprit que cinq grosses valises venaient d’arriver au village pour le mari. Après plus de six mois, nos pénates montréalais étaient enfin arrivés en Grèce! J’ai tout de suite eu l’envie de les retourner à l’expéditeur, mais j’ai hésité. Allions-nous attendre la vieille camionnette du boulanger pour récupérer nos valises dans lesquelles j’avais caché quelques livres parmi mes dessous féminins, là où l’homme ne regardait jamais?
J’avais peur, je pleurais, j’avais tellement envie d’écrire quelques lignes de poésie pour me libérer de mon fardeau. Comme des plaies ouvertes qui saignent et sèchent sans guérir, mes besoins n’étaient jamais assouvis. Sept interminables jours s’étaient écoulés depuis le départ du mari et de l’ami Thanassis pour Cologne, sans aucune nouvelle. L’homme aurait-il trouvé un travail intéressant et payant; un comptoir de souvlakis tenu par un vrai Grec; ou un poste de contremaître dans une manufacture de manteaux de fourrure?
À Montréal, de mon temps, la plupart des épouses grecques travaillaient dans des manufactures de manteaux de fourrure. Elles y cousaient les doublures avec une très grande habileté. Elles n’étaient pas payées à l’heure ni à la semaine, mais au nombre de doublures qu’elles cousaient par jour. Les plus chanceuses pouvaient compter sur la grand-mère pour garder les enfants pendant qu’elles cousaient puisque celle-ci habitait avec elles. Alors ces vaillantes immigrantes apportaient à la maison deux ou trois doublures à coudre après le souper, soutenant ainsi leurs maris jusqu’à ce qu’ils réussissent en restauration.
Et moi, qu’aurais-je pu faire pour épauler ce mari qui dansait jusqu’aux petites heures et dormait jusqu’à midi? Sans parler de son expertise en séduction! Une fois, au mariage d’une cousine, je l’ai vu à l’œuvre sur un plancher de danse et les filles tombaient comme des mouches juste à le voir se trémousser. Tandis qu’il brillait par son absence, j’y repensais et l’envie me prenait d’emmailloter mes bébés et de prendre le large!
À SUIVRE…
Cora
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Sur le chemin du retour entre l’hôpital et le village, ni Thanassis, ni mon mari et moi n’avions prononcé un traître mot. Un épais malentendu déchirait l’atmosphère. La mare de sang dans laquelle je m’étais réveillée sur la civière et les deux pilules que j’avais dû avaler dépassaient mon entendement. J’avais quand même sorti de mon corps un magnifique poupon à peine plus de 40 jours auparavant et voici que le sang coulait encore entre mes cuisses. Ce vieux docteur m’avait abîmée, charcutée, avortée. À ma première grossesse, mes beaux-frères avaient convaincu l’homme de m’épouser parce que j’étais la première qui lui refusait de se faire avorter. Parce que j’étais enceinte, je m’étais mariée obligée, comme on disait dans le temps. Mais cette fois, on ne m’avait même pas accordé le droit de prendre la décision.
J’avais soif. Sur la banquette arrière de la vieille bagnole du boulanger, mon corps se tordait de douleur. À l’avant, le mari, fumant comme un défoncé, s’amusait à retenir la fumée dans ses poumons le plus longtemps possible. Dans son empire du silence, il m’ignorait totalement. Je regardais mon ami Thanassis dans le rétroviseur et ça m’encourageait. « S’il te plaît, Thanassis, ouvre une fenêtre. Ma bouche est complètement desséchée. J’ai besoin de boire de l’eau. » Le mari continua à m’ignorer et à avaler de la boucane jusqu’à ce que nous nous arrêtions à la seule station d’essence située quasi à mi-chemin entre la grande ville et le village.
— « Sortons nous dégourdir les jambes », clama l’époux.
— « Bonne idée », rétorqua Thanassis.
J’ai ouvert la porte arrière et tenté de m’extirper de la bagnole. En avançant d’un pas, je m’aperçus que j’avais tacheté ma robe et la banquette arrière et que de minces filets de sang dégoulinaient sur mes jambes. « Thanassis, s’il te plaît, demande à quelqu’un un morceau de tissu mouillé pour me rafraîchir. S’il y a une femme dans la baraque, je veux lui parler. »
Une grand-mère assise dans un coin lâcha son tricot et s’avança vers moi. Elle avait tout compris en voyant mes yeux apeurés, mon visage blême et mes jambes collées l’une sur l’autre. La vieille femme essuya le sang sur mes cuisses, me tendit des découpures de tissus bien propres en me conseillant de m’étendre un peu pendant qu’elle nettoierait la banquette arrière. Elle me mena donc au fond de la bâtisse. C’est à ce moment que je découvris que la station-service abritait une petite pièce secrète où la vieille dame servait d’infirmière et parfois d’avorteuse pour les femmes du village. Elle m’installa sur son lit de fortune couvert de vieux draps.
Enfin revenue au village, j’ai tout de suite raconté à ma belle-sœur Despina qu’après l’examen post-partum habituel, on m’avait endormie sans demander mon consentement et retiré l’embryon d’un nouvel enfant. « Les hommes n’ont aucune idée de ce que les femmes endurent. Moi la première, je me suis bien mariée et j’ai accouché d’un petit garçon mort-né », me dit-elle. Après quelques larmes, je lui ai parlé de la vieille femme du garage. Selon Despina, c’était un secret bien gardé que tout le monde connaissait, mais dont personne ne parlait. À mi-chemin entre la grande ville de Thessalonique et les quelques villages avoisinants Krya Vrysi, les jeunes filles engrossées illicitement visitaient la femme du garage qui s’occupait d’expulser l’avorton et de recoudre l’hymen. Ainsi, la jeune fille redevenue vierge pourrait se marier.
Un souvenir du temps où je demeurais à Montréal me revient en tête. Mariée depuis quelque deux ans, j’avais le ventre quasi prêt à accoucher de ma fille, mon deuxième bébé. Un bon ami du mari nous avait invités à son mariage. J’étais très contente qu’une belle-sœur me prête une robe de maternité qui m’allait. Née au Canada de parents immigrants grecs, la jeune fille de 17 ans travaillait avec son père devenu restaurateur sur l’avenue du Parc et parlait parfaitement anglais et français. Croyez-le ou non, la coutume à cette époque consistait à déflorer la future épouse un ou deux jours avant la cérémonie du mariage pour que le mari puisse être convaincu de sa virginité. Cependant, cette magnifique promise ne l’était pas. Lorsque la mère du futur époux apprit ce qu’il s’était passé, elle annula la noce. Le futur mari, qui aimait sa promise comme un fou, se retrouva le bec à l’eau et le cœur en miettes.
Mais revenons au lendemain matin de notre visite de suivi à l’hôpital. Le mari était réveillé et tenait le tout petit dans ses bras. Il lui faisait des guili-guili pour me faire rire, je suppose. C’était mon troisième bébé, mais c'était vraiment la première fois qu’il prenait un de nos enfants dans ses bras.
Voulait-il être pardonné, excusé, gracié? Voulait-il me faire croire que c’était un service qu’il nous avait rendu la veille? Tout son comportement m’exaspérait. C’était un homme peu éduqué, paresseux, ignorant, imbu de lui-même, irresponsable, illogique et imprévisible. Ce dernier qualificatif m’effrayait au plus haut point. Pensait-il encore que la vie en Grèce était beaucoup plus facile qu’en Amérique? Lui-même, depuis plus de six mois, n’avait trouvé aucune opportunité valable pour gagner sa vie. Mais avait-il vraiment cherché?
Ce mois-là, le jardin débordait de légumes que j’avais ramassés et entreposés au deuxième étage de la maison. Nous avions récolté tellement d’oignons que j’ai dû enseigner à ma belle-sœur Despina comment les confire. Un jour, j’ai coupé le cou d’une belle grosse poule blanche pour notre souper. Les petits se sont bien amusés avec les plumes de la poule qu’ils allaient manger. Le plus vieux adorait les cuisses de poulet avec des frites allumettes cuites dans une grande poêle en fonte. Misère, les petits chercheront le ketchup! Que vais-je faire? Il m’a fallu écrabouiller quelques tomates bien mûres et en faire une « purée maison » comme l’aurait dit notre célèbre Jehane Benoît nationale.
Fin septembre, j’ai commencé à avoir peur. Constatant que le mari ne travaillait toujours pas, le boulanger me donnait le pain de la veille et quelques brioches invendues pour mes enfants. Les poches du mari étaient-elles si vides? Je n’avais aucune idée de ce qu’il possédait. Au café du village, tout ce dont les hommes parlaient, c’était du manque flagrant de travail bien rémunéré.
— « Où pourrions-nous aller? »
— « Peut-être en Allemagne? », murmura Thanassis. « Une grande majorité d’hommes grecs y sont déjà, travaillant dans les usines, sur les fermes agricoles ou dans les restaurants ».
— « L’Allemagne, le Canada ou les États-Unis, c’est du pareil au même! », grogna l’époux lorsque j’ai voulu tâter le terrain.
— « Hambourg, Munich ou Cologne, ça te tente? Tes deux frères au Canada vivent comme des rois avec leurs restaurants. Leurs familles ne manquent de rien. S’il te plaît, retournons au Canada. Demandons le passeport du bébé et partons. Dépêchons-nous! »
À SUIVRE…
Cora
❤️
Rendement : 8 crêpes (24 roulés de crêpes)
Ingrédients :
1 1/3 tasse (200 g) de mélange à crêpes nature Cora
1 1/3 tasse (325 ml) de lait (ou boisson végétale)
2 tasses (500 ml) de tartinade de type Nutella
Quantité suffisante de bonbons décoratifs
Brochettes de 4 pouces en bois
Méthode :
Pour préparer 8 crêpes, combiner dans un bol le mélange à crêpes Cora avec le lait (ou la boisson végétale).
Mélanger vigoureusement à l’aide d’un fouet jusqu’à ce que la préparation soit lisse et homogène.
Huiler légèrement une petite poêle antiadhésive et chauffer à feu moyen vif. Ajouter 1/4 de tasse (60 ml) du mélange au centre de la poêle et faire pivoter la poêle pour répandre le mélange uniformément.
Lorsque le rebord se décolle facilement et commence à dorer, après environ 1 minute, retourner la crêpe à l’aide d’une spatule et poursuivre la cuisson 30 secondes ou jusqu’à cuisson complète. Retirer la crêpe de la poêle.
Étaler 60 ml de tartinade sur chaque crêpe. Assurez-vous que toute la surface de la crêpe soit recouverte.
Rassembler deux crêpes cuites en les faisant se chevaucher de moitié.
Veiller à ce que ces deux crêpes soient placées de manière à avoir une extrémité non superposée dans le bas, puis dans un mouvement vertical vers le haut, rouler les crêpes pour en faire des boudins serrés. Répéter le processus avec les crêpes restantes.
Recouvrir chaque boudin de crêpes (4) de papier film et réserver au congélateur pendant une ou deux heures.
Une fois les boudins congelés, enlever le papier film et couper chaque rouleau en 6 morceaux égaux pour ensuite les embrocher.
Étaler un peu de tartinade sur les roulés de crêpes à l’aide d’un couteau à beurre, puis enrober chacun d’eux de bonbons.
Laisser tempérer et déguster!
Bon Appétit!